Paris Match - France (2020-11-12)

(Antfer) #1

90 parismatch DU 12aU 18 novembre 2020


chaque attentat, c’est le
mêmevertige.Unfrissonde
rageetdedésespoir,elleen
a pleurédurantcetteTous-
saintmortifère,Conflans-
Sainte-Honorine, Nice,
Vienne... «Trop c’est
trop. On décapite un
prof eton continuedequestionner
nosvaleurs.Cessonsdedissertersur
lalaïcité,denousflagellerpoursavoir
siuntela étéheurté parlescarica-
tures. C’est ce qu’ils attendent de
nous.Onlaissedecôtélephénomène
criminologique,on oubliequenous
avons des bombesà retardement.»
Voilàcequilapousseà bienvouloir
témoigner,endemandantl’anonymat,
parrespectpourlesecretprofession-
neletpoursasécurité.
Latrentenairefaitpartiedubataillon
depsychologuesenvoyésauchevetdes
détenusradicalisés,dansle cadreduplan
deluttecontrele terrorismedécidéaprès
lemassacrede«CharlieHebdo». Ellea
passécescinqdernièresannéesauprèsde
jeuneshommes– etquelquesfemmes–
emprisonnéspourdesfaitsoudessus-
picions deterrorisme; desdjihadistes
revenusde Syrie,d’autresayant sim-
plementvouluy partirouayantrelayé
lapropagandedel’Etatislamique.«Ils
m’intriguaient, confie la thérapeute, voix
séraphiquerompueà l’écouteaprèsdes

Par Sophie des Déserts débuts consacrésà l’enfancemaltraitée.
Je voulaiscomprendreleursmotivations,
j’avaisl’imaged’adosperdusenquête
d’idéal,commelesapprentisguérilleros
partisà Cubadanslesannées1960.»
La jeunefemmepénètreenprison
dans depetitessallesmisesà disposition
pour lesentretiens.Ellen’apaseudroit
au mutismed’unSalahAbdeslam,le prin-
cipalsuspectdela tuerieduBataclan,qui
a renvoyétoussesconfrères,maiscertains
luiontgriffonné: «L’islamn’estpasune
maladie.» Laplupartacceptentl’exer-
cice. Ilsleviventcommeunjeu,presque
undéfi.Lapsylesentdansleurattitude,
politessesurjouée,demandedemainte-
nirlaporteouverte,pour«nepaslais-
serentrerlesheitan[lediable]», sourire
encoinparfoisl’airdedire«à nousdeux
maintenant...». Pourtant,ilsontsouvent
l’airinoffensifs,corpsadolescentsdans
lesjoggings,peudebarbes,pasdekef-
fiehnidedjellaba.Lesregardsfeignent
l’indifférenceaurappeldeleurséjour
enSyrie.Minimisertoujours,marmon-
nerqu’ilsvoulaientsimplementaiderles
enfantsblesséssouslesbombes,rejoindre
leurscopains; eux,jurent-ils,n’ontpas
combattu.Leurs portables,saisispar
lapolice,ontpourtantcrachédesflots
d’imagesmacabres,selfiesaveckalach-
nikov...Riendegraveà lesentendre,«là-
bas,toutle mondeportaitunearme». La
psychologues’interrogesurcettebana-
lisation systématique. Elle découvre
qu’elleestcodifiée,recommandéedans
lesmanuelsdistribuésparAl-Qaïda,qui
ordonnentaussidenerévéleraucune
information.Lesradicaliséssontrompus
à la«taqiya», l’artdeladissimulation.
«Mêmesi j’avaiscombattu,jenevous
dirais rien», toise un détenu. Un autre

pointeundoigtmenaçant surlepetit
carnetoùlathérapeuteprenddesnotes,
aprèsavoirlaissééchapperundétail:
«Effacezçatoutdesuite!»
Rien ne paraît les atteindre, ni son
doux visage, ni ses tentatives d’évo-
quer les images de l’enfance, l’école, la
famille... Leur psyché est un bloc de
granit.Elleestfrappéeparlafréquence
demèresmalades,handicapées,dépres-
sives; lespèrespasforcémentabsents,
maishappésparletravail,«peustructu-
rants». Mornejeunessedansdesquar-
tiersdéfavoriséspourlamajorité; petite
délinquance– vols,traficsdestups– dans
40 % des cas, et l’échec scolaire, même si
quelques-uns ont entrepris des études
secondaires. Pas d’affect dans les récits,
l’amour et la sexualité enfouis quasi
inexistants, intense consommation de
jeuxvidéo.Laviesembleunefuiteen
avant,jusqu’àla découvertedela religion.
«Jeneconnaisrienà l’islam,prétend
lathérapeute.Expliquez-moi.» La voilà
noyée sous les prêches, les considérations
pseudo-historiques,lescoursdegéopo-
litiqueétrangementressemblants.«Je
réalisequ’ilsmesortenttousoupresque
lamêmelogorrhéepuiséesurlessites
islamistes.» L’un, ton docte, dissèque la
pensée des savants du Moyen Age, un
autre soutient que Napoléon, pour créer
le Code civil, s’est inspiré de la charia. Ils
deviennent alors sacrément diserts, même
déchaînésquandilsparlentdela France.
Fixationsystématiquesurlepassécolo-
nial,déballécommeungrandtout: «L’es-
clavage,la guerred’Algérie,lesfrontières
denospayspiétinées,lesparentsexploi-
tés,parquésdanslesbanlieues,obligés
d’abandonnerleuridentité.» Ilsmar-
tèlent: on ne veut pas reproduire. Que

ils sont Rompus


la « taqiya»,


l’aRt de la


dissimulation.


aucun FRan ais


ne tRouve gR ce


leuRs yeux.


leuR psych est un


bloc de gRanit


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