Paris Match - France (2020-11-19)

(Antfer) #1

120 parismatch DU 19 aU 25 novembre 2020


A Gaillac, voici l’homme qui


a ressuscité les cépages oubliés, disparus


pour la plupart au XIXe siècle.


Par Emmanuel Tresmontant - Photos Bertrand Mac Gaw

Le sauveur


du vignobLe


gaiLLacois


C


e nouveau Montaigne, paysan cultivé, est une source
d’inspiration pour tous les vignerons qui s’efforcent
de redonner vie à une terre épuisée par l’agriculture
intensive. Autrefois, les vignes vivaient trois siècles ;
aujourd’hui, à force d’être clonées, elles passent diffi-
cilement la trentaine. Né en 1935 à Cahuzac-sur-Vère,
dans le département du Tarn, Robert Plageoles est un
sage qui a conquis l’estime des plus grands vignerons de France,
comme la célèbre Lalou Bize-Leroy, qui le décrit comme « une
forteresse d’humanité » et « un puits de savoir ». Dans les années
1970, il avait constaté le déclin et l’appauvrissement du vignoble
de Gaillac, l’un des plus anciens de France, pourtant, puisque
« les Gaulois le cultivaient déjà quatre siècles avant notre ère ».
Il s’était alors souvenu de ces cépages oubliés aux si jolis noms
que son père lui avait légués en lui disant : « Tiens, petit, ça ser-
vira peut-être un jour. » La muscadelle,
l’ondenc, le prunelart... et si c’était eux
le sang neuf de Gaillac? Considéré
comme un fada, il aggrave son cas en
se convertissant peu à peu à la biody-
namie et en se prenant de passion pour
de la vigne sauvage découverte dans
la forêt de Grésigne, un fabuleux site
néolithique qu’il contribuera à sauver
de la destruction : « La vigne entoure
ici de vieux chênes séculaires, comme
s’il y avait un pacte entre elle et l’arbre
porteur, qui lui permet d’accéder à la
lumière et à l’eau. » En parvenant à
domestiquer cette liane, qui ne donne
du fruit que dans la forêt, ne pourrait-
on insuffler aux vignobles éreintés une
nouvelle sève? « Ce sont mes petits-
enfants qui verront cela! »
Rebelles et anticonformistes
comme l’étaient ces autres enfants du pays, Toulouse-Lautrec,
Jean Jaurès et Claude Nougaro, Robert Plageoles et ses enfants
ont accompli cet exploit : produire des vins uniques, pleins de
fraîcheur et de caractère, les vins de leurs ancêtres. Ainsi en
est-il du mauzac mousseux dont la recette remonte aux moines
bénédictins du XIIe siècle, et qui, selon les années, peut aussi
engendrer un incroyable vin de voile semblable au vin jaune
du Jura. Le prunelart offre un vin rouge croquant au goût de
prune sauvage. Mais le nectar suprême, c’est le vin d’Autan, à
base d’ondenc (on prononce « oundinc »), liquoreux, que les
historiens comparaient autrefois au Château d’Yquem... Séchés
par le vent d’Autan venu d’Afrique, les raisins ont concentré leurs
sucres. On n’obtient ainsi au pressurage que quelques précieux
hectolitres de jus. Un nectar aux arômes intenses de coing et de
poire avec d’infimes touches de sous-bois et de cuir... En 2005,
Jacques Chirac fit servir ce chef-d’œuvre en entrée, avec un
pressé de foie gras du Gers grillé à la truffe noire, lors d’un
déjeuner offert à Toulouse à Tony Blair, Gerhard Schröder et
José Luis Zapatero...
Au domaine des Très Cantous (« les trois cheminées » en
occitan), on se retrouve le soir près
du feu pour déguster cette mer-
veille qui servait de vin de messe
autrefois, un vin plein d’esprit,
capable de guérir la mélancolie. n
vins-plageoles.com.

A lire

Pour en savoir plus, le beau livre
écrit par Robert Plageoles et illustré
par Bertrand Mac Gaw :
« Vignes premières, vignes de demain »,
éd. Tonnerre de l’Est.

robert Plageoles


Vin d’Autan, prunelart, mauzac...
de 11,50 à 40 euros la bouteille.

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