Paris Match - France (2020-11-19)

(Antfer) #1
culture

14 parismatch DU 19 aU 25 novembre 2020


livres

C


omme des millions d’enfants,
Benjamin Lacombe a été ému aux
larmes au moment où la mère de
Bambi se fait tuer par un chasseur. Le succès
du film d’animation des studios Disney
sorti en 1942 a éclipsé l’œuvre originale
dont il est tiré : un roman animalier destiné
aux adultes, publié en 1923 par l’Autri-
chien Felix Salten. Un texte qui connut un
grand succès, mais fut interdit et brûlé par
les nazis qui y décelaient « une allégorie

politique sur le traitement des juifs en
Europe ». Les éléments symboliques sont
nombreux tout en restant discrets, analyse
le philosophe Maxime Rovère qui signe la
préface : « Bambi et les siens comme les
papillons cherchent un lieu pour vivre en
paix dans une forêt où les guettent partout
mille dangers. » « Bambi est un apatride,
les cerfs sont les seuls animaux sans ter-
rier, ils ne trouvent leur place nulle part »,
ajoute Benjamin Lacombe, depuis
son appartement parisien où les
classiques de la littérature jeu-
nesse côtoient les contemporains
sur des étagères débordantes.
Ce récit a résonné de façon sin-
gulière pour cet artiste de 38 ans.
« Du côté de ma mère, toute sa
famille a été déportée et extermi-
née. Je vis avec la mémoire de la
Shoah dans ma chair... » Benjamin
Lacombe se souvient aussi de ce
dessin antisémite montré par un
élève lors d’une intervention dans
une classe.
« Ce livre est un moyen de
se mettre à la place de l’opprimé et de
tous les exilés par le biais de la sensa-
tion », estime-t-il. C’est aussi, comme les
précédents, un objet à l’esthétique soi-
gnée. L’épaisse couverture cartonnée est
ajourée et il faut tourner une fragile page
de feuillages découpés au laser avant de

plonger dans le récit. Lacombe joue avec
l’ombre et la lumière, ses dessins au fusain


  • une manière de se rapprocher de la per-
    ception du monde en noir et blanc des
    animaux – laissent la place à de superbes
    images en couleur peintes à la gouache et
    à l’huile. Il a passé plus d’un an sur ce projet
    qui ne s’adresse pas aux tout-petits, mais
    dans lequel les jeunes enfants peuvent
    aussi trouver leur compte. « La force d’un
    classique tient précisément des différents
    degrés de lecture possibles », confirme-t-il,
    lui qui dirige, chez Albin Michel, une col-
    lection qui les revisite.
    Le plus connu des artistes et illustra-
    teurs jeunesse français, dont les livres sont
    traduits en 18 langues et vendus à plus de
    2 millions d’exemplaires à l’étranger, publie
    également trois autres ouvrages en cette
    fin d’année : « Esprits & créatures du
    Japon » (éd. Soleil), « L’étonnante famille
    Appenzell » (éd. Margot), écrit par son
    compère Sébastien Perez, qui interroge
    sur la marginalité et la monstruosité, et une
    première – et assez éloignée de son uni-
    vers – série jeunesse destinée aux 8-10 ans,
    « Charlock » (éd. Flammarion jeunesse),
    dans laquelle un chat bleu mène l’enquête.
    Point commun à tous ces personnages :
    leurs grands yeux presque exorbités, deve-
    nus la signature du style Lacombe. Des
    grands yeux qu’il a empruntés aux héros de
    Tim Burton et à ceux de... Walt Disney. n


Benja min L acomBe


La vér itabLe histoir e


de ba m bi
L’illustrateur rend hommage au roman animalier pour adultes de l’autrichien Felix Salten,
tombé dans l’oubli depuis l’adaptation par Disney.

« Bambi », de Felix
Salten et Benjamin
Lacombe, éd. Albin
Michel, 176 pages,
29,90 euros.

Benjamin
Lacombe à
sa table
de travail dans
son appartement
parisien.

Par Mariana Grépinet – Photo Patrick Fouque
@MarianaGrepinet
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