Paris Match - France (2020-11-19)

(Antfer) #1

60 parismatch DU 19 aU 25 novembre 2020


la crise s’immisce


dans nos finances


comme le virus


dans nos poumons :


sans diff renciation


Par Paloma Clément-Picos


eint frais, doudoune d’un blanc immaculé et sac en toile
« Biocoop », Flavie, 27 ans, détonne... Dans la file qui s’étire
devant l’épicerie solidaire Montparnasse Rencontres du
XIVe arrondissement de Paris, les mines sont plutôt sombres.
Et les chariots de marché, rapiécés. Comme chaque jeudi
depuis trois semaines, cette blonde toute fine se glisse entre
sans-papiers et travailleurs précaires. Etudiante en psycho-
logie, elle est une bénéficiaire récente. La fiche qui lui donne
désormais le droit d’effectuer ses courses à moindre coût fait
tache dans la pile de dossiers de l’association. Ses parents, qui
refusent de l’aider, sont trop aisés pour qu’elle puisse prétendre
à une bourse, et son statut d’étudiante ne lui donne pas accès au
RSA. Jusque-là, Flavie tenait en enchaînant les petits boulots :
« J’ai souvent été caissière, vendeuse, mais pas moyen de trouver
un job ces derniers mois. » Pour boucler novembre, elle ne peut
compter que sur les 874 euros d’assurance chômage de son
conjoint, Rassoul, intérimaire, qui n’a plus trouvé d’emploi
depuis le premier confinement. Le visage cerné du trentenaire,
père d’un enfant de 7 ans dont Flavie et lui s’occupent les week-
ends, est accablé. Ses larges épaules se sont voûtées. La galère, il

avait déjà donné. Mais jamais à ce point. Au pire moment, l’été
dernier, entre les murs insalubres d’un studio exigu de 15 mètres
carrés, le couple ne se nourrissait que des galettes préparées par
Flavie avec les seuls ingrédients dont ils disposaient : un peu de
farine et d’eau. Victimes collatérales de la crise sanitaire, atteints
par cet autre mal qui menace la France, la précarité, Flavie et
Rassoul ne souffrent ni de fièvre ni de toux, mais leur intégrité
physique est menacée par les carences.
Le 16 mars 2020, quand le président de la République a
annoncé que, pour freiner la propagation du virus, certains pans
de notre quotidien devaient être suspendus, leur vie, comme
celle de tant d’autres, a basculé. Il a fallu du temps pour le mesu-
rer. A l’heure où les hôpitaux recommençaient à se remplir
de malades peinant à respirer, les banques alimentaires débor-
daient de nouveaux demandeurs en quête de nourriture.
Depuis mars, plus de 1 million de personnes sont venues gros-
sir les rangs des 5,5 millions de bénéficiaires annuels. Claude
Baland, président des Banques alimentaires, prédit une nouvelle
augmentation de 20 % d’ici à trois mois. Déjà préoccupante,
la situation est en passe de devenir catastrophique. Pour la
première fois en trente-six ans d’existence, quelques-unes des
79 banques alimentaires de France, notamment à Marseille et
en Guadeloupe, ont dû recourir à des achats, faute de stocks
suffisants. La grande collecte de fin d’année sera cruciale. Le
12 novembre, le Secours catholique a rendu public un rapport
alarmant : « La France franchira la barre des 10 millions de
pauvres en 2020 », estime Véronique Fayet, sa présidente. En
2017, ils étaient 8,9 millions à vivre en dessous d’un seuil de
pauvreté, fixé aujourd’hui à 1 063 euros mensuels.
De son côté, la Fondation Abbé-Pierre signale que le
nombre de SDF n’a jamais été aussi élevé en vingt ans. A
Achères, dans les Yvelines, Christine Charcellay, directrice de
l’épicerie solidaire ELLSA, dépeint ainsi la nouvelle donne :
« Jusque-là, les assistantes sociales nous envoyaient des gens
qui avaient besoin d’un coup de pouce après un accident de la
vie. Un licenciement, une maigre retraite, un divorce compli-
qué... Maintenant, c’est à cause d’une pandémie! » Lithy Abbot,
mère de trois enfants, entre dans cette nouvelle catégorie. Née
à Sainte-Lucie, dans les Caraïbes, elle a grandi en Martinique
avant de gagner la métropole il y a deux ans. Bagagiste à l’aéro-
port Roissy-Charles-de-Gaulle, son mari a été remercié quand

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