Paris Match - France (2020-11-19)

(Antfer) #1

94 parismatch DU 19 aU 25 novembre 2020


IcI, même les rapaces sont log s comme des


prInces. les neuf faucons d’un cheIkh des emIrats


arabes unIs ont leur chambre


De notre envoyée spéciale à Marrakech Pauline Delassus


Le directeur
général de l’hôtel,
Pierre Jochem,
avec les décorateurs
Patrick Jouin
(à gauche)
et Sanjit Manku.

I


l installait son chevalet face aux cimes enneigées de l’Atlas.
Cigare à la bouche, canotier sur la tête, dans sa main un pin-
ceau et, sur ses épaules, une longue blouse de coton blanc.
A la Mamounia, Winston Churchill devenait peintre. « C’est
un endroit merveilleux, l’un des meilleurs hôtels où je suis
allé, écrit-il à son épouse, Clementine, en décembre 1935.
J’ai une chambre excellente et une salle de bains, avec un
grand balcon donnant sur un panorama remarquable d’oran-
gers et d’oliviers. » Le Britannique passe plusieurs hivers à
l’ombre du palace ouvert en 1923 sous l’impulsion du maréchal
Lyautey. Il aime admirer ses jardins, reproduire sur la toile les
palmiers, les roses, la lumière de l’aube et le soleil couchant. Le
soir, Churchill joue aux cartes et sirote un brandy. Il lit les jour-
naux, seule l’actualité française parvient alors jusqu’au Maroc :
« Il n’y a aucun doute que nous sommes dedans jusqu’au cou »,
conclut-il dans une lettre d’avant-guerre à sa « Clemmie chérie ».
Ils ne sont alors pas plus d’une cinquantaine, voyageurs
étrangers et autochtones, à pouvoir dormir à la Mamounia. Les
premiers hôtes prestigieux sont le sultan du Maroc, futur roi
Mohammed V, et sa famille. Le port de la cravate est obliga-
toire, le « tea time » ponctue l’après-midi et, grand luxe, chaque
chambre a sa baignoire. De hauts murs se dressent tout autour
de la propriété, vestiges ocre et dorés de l’antique médina, griffés
par les cactus et les bougainvilliers. Ces remparts protecteurs
sont encore debout aujourd’hui, les jardins toujours somp-
tueux, le charme d’un monde ancien, opulent, si raffiné, intact.
La Mamounia appartient au patrimoine du Maroc. Le public

peut s’y promener, s’y restaurer. Tel un musée, elle fait la fierté
du royaume, qui tient à ce qu’elle reste marocaine. En 2019,
deux sociétés étatisées entrent au capital, le groupe OCP,
exportateur de phosphate, et le Fonds Hassan II, à hauteur
de 26 % chacune. La Caisse de dépôt et de gestion et la ville de
Marrakech sont également actionnaires, aux côtés de l’Office
national des chemins de fer.
Il y a, dès les premiers pas dans le vaste hall, un parfum
mêlé de datte et de cèdre, les sourires du personnel aux aguets
sous l’éclairage tamisé, une chaleur qui enveloppe. Les ban-
quettes en velours forment des alcôves, non loin le murmure
d’une fontaine annonce les extérieurs. Le soleil attire l’œil et le
corps vers la piscine, immense étendue turquoise entourée de
parasols. Des chats se promènent parmi les dames en maillot de
bain ; il faut suivre les félins le long de l’allée centrale du parc,
magnifique perspective bordée de deux mille rosiers, jusqu’au
potager et au pavillon Menzeh, transformé en salon de thé par
Pierre Hermé. « Ici il y a une âme, de la poésie, de la magie. C’est
un honneur d’y travailler », confie Mohamed Ennassiri, 60 ans
et trente-quatre années de Mamounia, à la réception puis à la
direction des réservations. Le cinq-étoiles est sa maison et il en
est la mémoire. Ses souvenirs remontent au 11 octobre 1986,
son premier jour de travail, tout juste diplômé de l’institut de
tourisme de Tanger. Il avait lu un article sur la Mamounia et
rêvait d’y entrer, la « grande dame » l’a appelé pour le recruter.
Il apprend auprès des anciens « à être soi-même, spontané, en
cultivant un savoir-vivre, une élégance ».
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