Paris Match - France (2020-11-19)

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Le maître pâtissier de la Mamounia, Pierre Hermé.

A la réception, Mohamed Ennassiri est en première ligne. Il
doit connaître chacun des clients, savoir les approcher tout en gar-
dant ses distances. Avec les personnalités, nombreuses dès 1980,
venues de France, du Royaume-Uni et d’Amérique, il faut iden-
tifier les visages, suivre les amours et les carrières pour éviter
les impairs. Afin d’accélérer son apprentissage, il récupère des
magazines laissés dans les chambres et devient vite un expert en
célébrités. Il parle de l’amabilité des jeunes mariés Tom Cruise
et Nicole Kidman, de l’humilité de Roger Hanin et de la gen-
tillesse de Kate Winslet, venue passer quelques jours
en 1998 au moment où « Titanic » sort sur les écrans. Il se
souvient d’Yves Saint Laurent buvant chaque soir son
apéritif sur la terrasse, de Jean-Paul Belmondo entouré
de sa mère et de son chien, de Sharon Stone que per-
sonne ne reconnaissait sous son chapeau. La Mamounia
brasse large, de Jean-Marie Bigard, qui fait rire tout le
monde le soir où l’entrée du casino lui est refusée parce
qu’il porte un blue-jean, à Jean Daniel, dont la majesté
impressionna tant Mohamed Ennassiri qu’il s’empressa ensuite
de lire ses ouvrages. « God bless you », lance un jour l’archevêque
anglican Desmond Tutu au réceptionniste. « Je n’avais fait que lui
indiquer la salle de gym... »
Devancer les désirs des clients, se rendre indispensable en
toute discrétion, voilà la mission des 600 employés, marocains en
majorité. En habituée, Cécilia Attias ne cache pas son enthou-
siasme : « La Mamounia est un condensé de ce qu’il y a de plus
charmant au Maroc. » Depuis la rénovation de 2009, menée par
l’architecte d’intérieur Jacques Garcia, l’établissement compte
133 chambres, 76 suites, 3 riads, un spa, deux courts de tennis. Le
prix? Au moins 600 euros par nuit.
L’amiral de ce fastueux vaisseau, élu meilleur hôtel du
monde par la revue américaine « Condé Nast Traveler », est un
enfant de la Mamounia : le fringant Pierre Jochem, nommé il y
a huit ans après une brillante carrière dans l’hôtellerie interna-
tionale. Il commande un thé au jasmin et raconte la rencontre
de ses parents entre ces murs, au début des années 1950. Son
rôle est celui du chef d’orchestre, harmoniser le travail de ses
équipes. Il décrit l’« expérience sensorielle » vécue par les clients,
« du raffinement en tout ce que l’on voit, ce que l’on sent, ce que
l’on touche, ce que l’on goûte ». Il faut satisfaire les exigences et
les besoins « avec les limitations qui vont de soi ». Il fait défiler
une liste prodigieuse de noms – « Ray Charles, Colette, Rita
Hayworth, Nelson Mandela... Le monde entier a dormi ici! »
Et raconte les origines, quand, au XVIIIe siècle, le sultan Sidi
Mohammed ben Abdallah offre ce terrain
luxuriant, situé près de la place Jemaa el-Fna,
à son fils, le prince Mamoun. L’héritier et sa
suite s’y retrouvent pour de grandes fêtes,
une tradition qui perdure.
Cette oasis de verdure abrite toujours de
très chics bacchanales. Certains privatisent les
lieux – comptez 1 million d’euros au mini-
mum – pour se marier en toute tranquillité
et se permettre quelques extravagances. Ainsi
ce couple de Russes qui firent de leur chien
Javier leur « garçon » d’honneur, lui louèrent
une suite et l’habillèrent d’un costume Tom
Ford. Le fils de Gunter Sachs y organisa un
banquet médiéval pour 400 convives. Un
Argentin y fêta ses 60 ans avec 800 invités
auxquels il destinait quelques cadeaux, d’une


hacienda à Mexico à une Ferrari. Pierre Jochem fait face, sans
jamais rien laisser paraître, comme lorsque ce cheikh des Emirats
arabes unis exige aussi une chambre pour ses neuf faucons, logés
comme des princes. Des histoires vraies que l’on conte comme
les « Mille et Une Nuits », mêlées aux légendes dont une telle
maison ne saurait se passer. Le flegmatique patron relate, sérieu-
sement, l’affaire du « fantôme », ce spectre d’un défunt que l’on
croit enterré dans le parc, sous le pavillon Menzeh. Certains
l’auraient aperçu...
Des persona non grata en chair et en os, il y
en a. Comme Anna Sorokin, dite Anna Delvey, qui
avait réussi à se faire passer pour une rentière for-
tunée auprès de la bourgeoisie new-yorkaise. Elle a
séjourné plusieurs jours à la Mamounia, en 2017, avant
de vouloir quitter les lieux sans payer... Finalement,
une de ses amies réglera la note : 62 000 dollars. Anna
sera arrêtée et emprisonnée quelques mois plus tard.
Les producteurs de Netflix se sont emparés du fait
divers pour réaliser une série, tournée sur les lieux du crime.
La beauté de la Mamounia se prête au cinéma. En 1955, déjà,
Alfred Hitchcock la choisit comme décor de « L’homme qui en
savait trop ». Depuis 2001, les jurés et une partie des invités du
Festival international du film de Marrakech y sont accueillis.
Catherine Deneuve, Robert Redford, Monica Bellucci, Cate
Blanchett... Le gotha du 7e art se croise dès le petit déjeuner
au bord de la piscine. Francis Ford Coppola aime passer en cui-
sine pour rencontrer les chefs, Marion Cotillard préfère s’exiler
dans l’un des riads du parc. Melita Toscan du Plantier, la direc-
trice du festival, raconte une atmosphère « paisible, familiale,
un hôtel somptueux et historique qui fait rêver ». Le monde
politique s’y retrouve aussi. Dans les années 1960, le général
de Gaulle y passe une nuit, dans un lit fabriqué tout exprès,
à sa taille. En 1984, Jacques Chirac décrit dans le livre d’or
« un merveilleux accueil digne des grandes traditions d’hos-
pitalité et de gastronomie ». Nicolas Sarkozy y joue au tennis,
Dominique Strauss-Kahn y donne des rendez-vous d’affaires,
Martine Aubry y réveillonne. Hillary et Bill Clinton y dorment
à plusieurs reprises.
En 2019, Pierre Jochem fait appel au duo d’architectes
Patrick Jouin et Sanjit Manku pour créer une salle de cinéma,
une œnothèque, une trattoria et un salon de thé, mais aussi pour
rénover le bar Churchill et le pavillon de la piscine, et adapter le
restaurant français à la « fusion cooking » du chef Jean-Georges
Vongerichten. « Il faut que tout change pour que rien ne change »,
l’adage du « Guépard », devient le leitmotiv
de la mutation express qui vient de s’achever.
« C’est un chapitre qui doit s’inscrire dans
l’histoire, explique Patrick Jouin. Nous avons
essayé de pousser la tradition ornementale
marocaine vers le futur. » « Préserver la
paix du lieu, redéfinir les espaces endormis,
ajouter au charme du passé l’énergie du pré-
sent », résume Sanjit Manku. Leur talent se
retrouve partout, du Churchill, écrin dissi-
mulé et étincelant, aux lanternes dorées qu’ils
ont dessinées et posées dans chaque recoin.
Un spectaculaire lustre en verre illumine
désormais le patio qui mène au spa. Cerise
sur la corne de gazelle, les nouvelles cartes
salées et sucrées de Pierre Hermé. Un délice,
palace oblige. n @PaulineDelassus

Coppola aime
passer
en Cuisine
pour renContrer
les Chefs
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