Coup de Pouce - (02)January-February 2020

(Comicgek) #1

PHOTOS: GETTY IMAGES/E.


C


e n’est pas nécessairement au passage d’une
dizaine que le raz-de-marée est déclenché.
Cette profonde remise en question peut
survenir après n’importe quel événement – petit ou
gros, heureux ou non – par exemple la fin des études
de notre enfant, un décès, l’annonce d’une maladie,
un changement au travail, une naissance, etc.
Comme pour toute remise en question, aucun
mode d’emploi n’existe. Certaines personnes ne la
ressentent pas de crise et traversent ces années sans
prise de tête. D’autres vivent une transition plutôt
angoissante où l’envie de tout balancer côtoie le
réveil de vieux rêves enfouis et le fantasme d’une vie
nouvelle souvent diamétralement opposée à celle
qui convenait pourtant encore hier.
«En fait, au mitan de la vie se déroule en quelque
sorte une autre étape de notre processus d’indivi-
duation. C’est une transition», explique Judith

Petitpas, auteure de Mieux vivre la crise de la quaran-
taine. Le processus d’individuation comporte plu-
sieurs phases (bébé en se séparant progressivement
de notre mère, adolescent en se détachant de nos
parents...) au courant de la vie.
Le psychiatre Carl Gustav Jung s’est beaucoup
intéressé à la question du processus d’individua-
tion. Il a établi que pendant l’enfance et la première
portion de la vie d’adulte, on vit une période d’ac-
commodation où pour se sentir en sécurité, on agit
en fonction de ce qu’on attend de nous, devenant
par moments un «personnage» suivant les tendances
ou les conventions sociales. «On est dans le “devoir
être” plus que dans le “désir être”», constate Marie-
Josée Michaud, auteure de 80 heures par semaine.
Quand l’hyperperformance devient toxique. On doit être
comme les autres pour se sentir intégrée, acceptée et
aimée. «Très inconsciemment, on vit une pression à
réussir sa vie qui vient de l’extérieur de soi. C’est une
quête très typique de notre époque», note le psycho-
logue Jean-François Vézina, auteur de plusieurs ou-
vrages dont Se réaliser dans un monde d’images. Cette
situation n’est pas nécessairement inconfortable.

On s’en «accommode». Mais plus les années passent,
plus on se sent étouffée par ce faux soi. On se sent
impostrice dans notre propre vie, étrangère à soi-
même. Jusqu’au jour où il devient totalement insup-
portable de porter ce masque.

MILIEU DE LA VIE: EN ROUTE
VERS LA DERNIÈRE PORTION
«Mes 30 ans ont passé comme dans du beurre! Mais
quand j’ai eu 35 ans: outch! Je me suis trouvée vieille
tout à coup. Je me souviens de ma mère à 35 ans...
c’était une madame. Mais MOI? Je n’en suis pas une!
Je me suis mise à voir tous mes bobos et j’ai eu peur
d’être vieille avant le temps, etc. Bref, ça m’a donné
une pas pire claque!», confie Véronique, 36 ans.
En plus, c’est à cette période de la vie que d’autres
changements viennent ébranler nos fondations.
Nos enfants, devenus grands, ont moins besoin de
nous ou quittent la maison. Des gens près de nous
et de notre âge meurent. Nos parents vieillissent.
Des maladies apparaissent. On n’est pas encore
vieille, mais on sait qu’on n’est plus jeune. Du coup,
on réalise qu’on n’est pas éternelle, que le temps
passe (et vite!) et qu’il nous en reste moins. Il ne suf-
fit que d’un banal déclencheur pour qu’une cascade
de remises en question s’active et qu’apparaisse une
féroce urgence de vivre... comme on l’entend.

POURQUOI MOI? POURQUOI LÀ?
La «crise» est donc un réveil de notre vraie nature.
«On ne veut plus de cette personne que les autres
ont modelée. On a moins besoin d’être aimée de
tout le monde, on n’en peut plus de vivre pour les
autres et on ressent une puissante envie de vivre
pour soi», avance Judith Petitpas. Le vrai soi que l’on
a caché ou modelé pour convenir aux exigences du
monde extérieur pousse pour sortir. On rejette
l’approbation extérieure. On veut être soi-même.
Celle qu’on a toujours été, mais qu’on a mise de côté.
S’ensuit une période plutôt inconfortable où notre
vie entière est analysée. Tout y passe: notre couple,
notre vie de famille, notre boulot, nos valeurs, etc.
«C’est une véritable crise d’adolescence, mais “inté-
rieure”. Au lieu de se révolter contre les autres, on se
révolte contre soi et nos propres valeurs, nos croyances
et nos choix», estime Jean-François Vézina. Comme
n’importe quel moment charnière , cette transition ne
se fait pas sans heurts. La puissance des émotions dou-
blée d’une série de questionnements et de reposition-
nements, le tout assorti d’un profond ménage de nos
choix de vie: c’est extrêmement déstabilisant.
L’heure du bilan n’est pas toujours tendre. Face aux
choix qu’on a faits, on n’est pas toujours fière du par-
cours emprunté, parfois déçue du résultat et même
fâchée ou coupable d’avoir gaspillé autant de temps.

«C’est une véritable crise


d’adolescence, mais “intérieure”.


Au lieu de se révolter contre


les autres, on se révolte contre


soi et nos propres valeurs,


nos croyances et nos choix.»



  • JEAN-FRANÇOIS VÉZINA, PSYCHOLOGUE


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JANVIER-FÉVRIER 2020
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