Coup de Pouce - (07)July-August 2020

(Comicgek) #1
Je ne suis ni grosse ni maigre. J’ai un poids «normal», qui
fluctue au gré des saisons et des événements de la vie.
Mon poids est une représentation de mon mode de vie,
de mon taux d’activité, de mon niveau de stress... mais
surtout, de ma génétique. Je suis comme je suis. Le chiffre
sur la balance peut bien se promener, je reviens invaria-
blement au même, depuis longtemps.
Est-ce que j’assume toujours mon corps, avec ses
courbes, ses plis et replis, ses bouts plats et ses parties moel-
leuses? Ce serait mentir que de répondre «oui, à 100 %, en

tout temps!» Mais je fais des pas de géant... surtout depuis
que ma fille, qui amorce doucement sa puberté, m’observe
m’observer. «On le dit souvent, mais les enfants ne font pas
ce qu’on dit: ils font ce que nous faisons, dit Catherine
Senécal, neuropsychologue. Si on tient un discours négatif
ou dégradant à propos de notre propre corps, c’est ce que
notre enfant retiendra».
Il m’est déjà arrivé de lâcher devant ma fille un «Oh, ces
jeans-là ne me font plus, j’ai pris du ventre!»... aussitôt
regretté. Je ne pouvais pas, d’un côté, prôner que chaque
personne est unique, et de l’autre, m’insulter. Est-ce que ça

veut dire que parler de son corps est à proscrire, que c’est
tabou? «Non, mais il faut donner accès à nos enfants à la
pensée complète, avance Mme Senécal. Il faut expliquer:
c’est normal que notre poids varie. Ces derniers temps, il
est possible qu’on ait plus mangé, plus bu et, oui, notre
corps s’est arrondi. C’est temporaire. Notre corps va s’auto-
réguler et revenir à son poids naturel.»
Maman d’une fille de huit ans, Marie-Claude Royer
avoue que c’est «un combat permanent» de rester cohé-
rente lorsqu’il est question d’image corporelle. «Il faut faire
attention à la façon dont on qualifie notre corps, et en
même temps, ce n’est pas vrai que ce dont on a l’air n’est pas
important dans la société dans laquelle on vit.»
La pression du «bien paraître» est immense; l’industrie
de la mode et de la beauté est puissante, tout comme le
lobby des régimes. Le message voulant qu’une femme
mince soit plus heureuse est encore omniprésent.
Comment montrer la voie à ma fille, alors qu’on nage en
plein paradoxe sociétal? «Ça part de soi, dit Mme Senécal. Il
faut faire la paix avec soi-même. Ça veut aussi dire qu’il faut
cesser de commenter son corps et celui des autres.»
Pour développer sa pensée critique, j’ai montré à ma fille
les dessous de certaines séances photo: retouches, éclairage,
poses... Je choisis ce qui entre chez nous (jouets, jeux, livres,
etc.) pour éviter d’encourager les stéréotypes de genre. Et je
jette toujours un œil à ce qu’elle regarde en ligne afin d’inter-
cepter les images sexistes et les propos qui ramènent la
femme au statut d’objet. Tout ça pour que le chemin par-
couru, de la libération à l’émancipation, ne soit pas inutile.
Au nom de toutes les luttes et tous les progrès, je ne veux pas
que ma fille accepte son corps; je veux qu’elle l’aime!

MAUDE GOYER EST MAMAN D’UN GARÇON DE 13 ANS ET D’UNE FILLE DE
10 ANS. •

AIMER


SON CORPS,


DE MÈRE


«


Si on tient un discours


négatif ou dégradant à propos de


notre corps, c’est ce que notre


enfant retiendra.


»


— CATHERINE SENÉCAL, neuropsychologue

Ma vie | PARENT |


en fille


À LA NAISSANCE DE MA FILLE, JE ME
SUIS PROMIS DE PROMOUVOIR LA
DIVERSITÉ CORPORELLE ET DE LUI
MONTRER QUE L’APPARENCE ET
L’IMAGE NE RÉSUMENT NI NOTRE IDEN-
TITÉ NI NOTRE VALEUR. J’AI RÉALISÉ
ENSUITE QU’APPLIQUER CE PRINCIPE
N’EST PAS AUSSI SIMPLE QU’IL Y PARAÎT.
Par Maude Goyer | Illustration: Anne Villeneuve/c.

JUILLET-AOÛT 2020
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