A Paris, entre deux urgencessanitaires,la vie
continue. Avec nos petites foucadesculturelleshabi-
tuelles. Ces jours-ci, une idéecircule.Faireentrer
quelqu’un au Panthéon. Ce genredegadgetamuseles
autorités. Une jolie cérémonie,unbeaudiscours,une
communion civique. EmmanuelMacronlesréussittrès
bien. Les hommages, c’est sontruc.Unnomtientla
corde : Molière. Mais volontiers.Biensûr,il y a d’autres
candidats : Berlioz, Diderot, Monet,LaFayette,l’Abbé
Pierre... Que des valeurs sûres. Encesmatières,comme
pour un référendum, l’Elysée neprendpasderisques.
Molière serait sûrement ravidevolerla vedetteà
ces fâcheux. On les connaît, lescomédiens: toujours
enchantés qu’on relève le rideaupoureux.Surtoutdans
un caveau aussi majestueux. Lesarchitectesn’ontpas
lésiné : nef gothique, coupoles byzan-
tines, péristyle grec, galeries clas-
siques... Ils ont vraiment puiséleur
inspiration partout. Rien quipuisse
troubler Molière. Les empruntsnelui
ont jamais fait peur. Il avait beaucoup
lu Aristophane, Plaute, Térence,lesItalienset lesEspa-
gnols. Ne parlons pas de Corneille. Même si cette allusion
met vite certains en rage, on est aujourd’hui persuadé
qu’il est l’auteur de ses plus grandes pièces. Comment
expliquer sinon ces dizaines de vers communs parse-
més à travers leurs œuvres respectives? Et comment
expliquer qu’on n’ait jamais trouvé une ligne de la
main de Molière?
Passons. Au pire, on dira qu’on rend hommage au plus
grand des comédiens français. Et tant pis si on inhume
un cercueil vide. Enterrée à la va-vite, comme pour
tous les acteurs de l’époque, sa dépouille a disparu.
Rien d’irréparable : le tombeau de Jean Moulin l’est
aussi. Et, au moins, la famille ne risque pas de dire
non, comme celles de Péguy ou de Camus. Du reste,
avec Molière aucune polémique en perspective : tout le
monde l’aime. On échappera aux allers et retours embar-
rassants, comme ceux de Mirabeau ou de Marat, qu’on a
inhumésengrandéquipagepourlesretirerjusteaprès.
Onnelesaimaitplus.
Aucunrisquequecelaarriveavecl’auteurde« L’avare».
Inutilederevenirsursapetitehistoired’incesteavec
ArmandeBéjart,qu’ilépouseaprèsl’avoirélevée
quandil vivaitavecMadeleine.CommedisaitCicéron:
« Autrestemps,autresmœurs.» Aupire,celale rajeu-
niradedéclencherunepolémique,commeà l’époque
du« Tartuffe». Evidemment,leschosesrisquentdene
pass’arrangerquandonressortiraquelques-unesde
sesphraseslesplussaignantesdes« Femmessavantes».
Quelquesmairessespourraientmêmedébaptiseruncol-
lègeoudeux.RoselyneBachelotdevramouillerla che-
mise.Tantmieuxpourelle,c’estcommeça qu’onlaisse
unetracedansl’Histoire.Il nesuffitpasd’éclaterderire
à toutboutdechamp.Celadit,pour
évitercestracas,ellen’aqu’àsedon-
nerunpeudemalet trouverdesnoms
originaux.Desfemmes,parexemple.
Lecimetièrerépublicainenmanque
et l’époquelesréclameà coret à cri.
GeorgeSand,la marquisedeSévigné,LucieAubrac
attendent sans fin leur tour. Sarah Bernhardt aussi,
célèbre dans le monde entier à son époque. Avec sa
jambe de bois plantée en plein dans ses plates-bandes,
une vraie rivale pour Molière. Tant qu’à être à la mode,
on pourrait même accueillir Coco Chanel. La Française
la plus célèbre du XXe siècle. Bien plus efficace pour
notre renom et notre grandeur que Foch ou de Lattre.
Aussi connue que de Gaulle et Tintin. Avec, en prime,
de grosses taches sur sa légende et un odieux carac-
tère, parce qu’elle a eu l’une et l’autre. Et tant mieux.
Le Panthéon est destiné aux grands hommes, pas aux
grandes âmes. Donc, va pour Molière et Chanel. Un
peu d’inceste pour le premier, un doigt de collabora-
tion pour la seconde et pas mal de pages à ne pas tour-
ner pour les deux. Un doux parfum de polémique nous
changera enfin des bons sentiments. Pour une fois, on
pourrait même s’intéresser à ce transfert.
L’AIRDUTEMPS
GILLES
MARTIN-CHAUFFIER
MOLIÈRE, LE PA N THÉON
POUR UN IMPOSTEUR?
Inutile de revenir sur sa
petite histoire d’inceste avec
Armande Béjart qu’il
épouse après l’avoir élevée
LA SEMAINE DE
PARIS MATCH DU 11 AU 17 FÉVRIER 2021