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L’ENTRETIEN
DOCTEUR RICHARD
ET MISTER MALKA
L’avocat publie un second roman fantasmagorique dans lequel il met en scène ses pires
passions. Une forme d’autoportrait autour de l’amour et de la littérature.
InterviewBenjaminLocoge–PhotosClaireDelfino
Adrian Van Gott est né en 1769. La nature lui a donné ce
pouvoir étrange de ne pas vieillir à condition qu’il se nourrisse de
l’amour des autres. Un amour vampirique, carnivore, qui l’incite à
commettre les crimes les plus atroces, à vivre les plus folles audaces.
Jusqu’au jour où Adrian retrouve Anna, son amour de jeunesse. Alors,
pour la maintenir vivante, il décide de se sacrifier – en prenant le soin
de raconter les deux siècles qu’il a traversés. Richard Malka n’a que
52 ans. Mais lui aussi, le timide qui ne se sentait pas à l’aise dans
sa vie, a fini par devenir un ténor du barreau, en étant notamment
l’avocat des causes perdues et du blasphème. Il y a beaucoup de lui
dans ce « Voleur d’amour ». Nous sommes allés à sa rencontre, dans
son discret cabinet parisien, pour mieux tenter de percer le mystère
de docteur Richard et mister Malka.
Paris Match. Pourquoi avez-vous choisi comme héros un
tueur, justicier à ses heures, mais prêt à commettre un
inceste pour sa survie? Vous aviez besoin de cette noirceur?
Richard Malka. J’avais surtout besoin de m’en
délester! Le point de départ de ce livre, c’est moi au
cœur de mes ténèbres personnelles. Nous sommes en
juin 2015 et, depuis six mois, je n’arrive plus à écrire,
ni mes BD ni mon premier roman qui est encore en
chantier. Et en décidant de mettre toutes mes mau-
vaises passions dans ce second roman, l’envie a fini
par revenir. Alors oui, il y a ma colère, ma tristesse,
mon amertume, mais je crois qu’il s’agit néanmoins
d’un texte lumineux. Parce qu’on n’écrit pas de grands
livres avec de beaux sentiments.
Vous avez toujours été fasciné par les monstres?
Depuis l’enfance, oui, depuis “Frankenstein”, histoire à
laquelle je reviens sans cesse. Il n’y a rien qui m’émeut
autant que les monstres, quand ils savent qu’ils sont des
monstres et qu’ils aspirent à l’humanité. Ça me tord les boyaux de
tristesse, parce que j’ai envie de les ramener dans l’humanité. Même
si c’est impossible. C’est la vie des avocats, et c’est pour cela que l’on
ne nous aime pas : parce que l’on défend des réprouvés. Des gens
qui ont commis des atrocités, des gens rejetés par l’ensemble de la
société. Mais quand on voit cette part d’humanité, on a forcément
envie de les défendre. Et de les ramener à la lumière. Dans mon
livre, j’ai réussi à faire en sorte, il me semble, que l’on n’arrive pas
à détester totalement ce personnage monstrueux.
Parce que c’est aussi le récit d’un véritable amour, d’une passion rava-
geuse. Ce que vous avez connu?
En 2015, j’ai découvert la souffrance amoureuse et cela m’a ouvert
des portes [il rit], notamment en littérature. Jusqu’à ce que j’expéri-
mente l’amour, je ne me sentais pas capable d’écrire un livre.
Pourquoi est-ce venu si tard dans votre vie?
Parce que je n’en voulais pas. Tout le monde n’est pas
égal devant la capacité à aimer, tout le monde n’est pas
aussi doué.
Vous aviez peur?
Non. Mais c’est une réflexion qui est au cœur du livre :
comment fait-on pour conjuguer la liberté et l’amour?
Car l’amour est un renoncement à la liberté. C’est indis-
cutable. Mais la liberté sans amour est une superficialité.
Donc il n’y a pas de solution. Comme disait Aragon : “Il
n’y a pas d’amour heureux.”
D’où votre vision sombre de l’existence?
Pas forcément. J’ai été heureux sans amour. Mais on
n’accède pas à la connaissance de soi-même. Celui qui
a raison, c’est celui qui donne de l’amour. C’est lui qui
s’enrichit. Même s’il souffre. Lorsque ça m’est arrivé, ça
a été une violence terrible, je le refusais de toutes mes
forces. Et j’ai connu finalement quelque chose de fasci-
nant pendant un an. J’ai fini dans un sale état parce que
PROFIL
1968
Naissance à Paris.
1992
Intègre le cabinet
de Georges Kiejman.
On lui confie
le dossier « Charlie
Hebdo ».
2012
Défend DSK dans
l’affaire du Carlton.
2020
Monte à la barre
au tribunal de Paris dans
le cadre du procès
« Charlie », qui fait suite
aux attentats de 2015.
PARISMATCH DU 11 AU 17 FÉVRIER 2021
LA SEMAINE DE