je mebattaiscontremoi-même.Maisc’estla plusbellechosequi
m’aitétédonnéedevivre.Sanscelamavieneseraitpascomplète.
Vousn’yretournerezpaspourautant?
J’ysuisretourné...[Il rit.]Quandony a goûté,c’estcompliquéde
s’enpasser.Maisonse méfie.
Vousavezditnepasvouloird’enfants.
J’aitoujoursconçulesenfantscommeunfreinà maliberté.Par
ailleurs,je n’enai jamaisressentile désir.Monbesoind’éterniténe
passepasparlà.Il passeparmesactes,mesactionset mesécrits.
Voussavezquevouspouvezêtreassassinédemain...
Oui,maisje mecroiséternel.C’estencelaqueje n’aipasaban-
donnémesrêvesd’enfant.Lejouroùj’aivuMichelPolnareffêtre
interviewédansle désertparMichelDenisot,je mesuisdit: “Putain,
cesviesexistent! Totalementromanesqueet rock’n’roll.”Çam’a
galvanisé,j’aicomprisqueje pouvaismeréaliser,celam’adonné
ducourage...
Vousvousracontezplusdansunromanquedansvotrequotidien?
Ahoui.Je suisincapablededévoilerdeschosespersonnellessans
le filtreduroman.L’avocatvousdiraitquel’onnesauraittoutse
permettredansunlivre: la conjugaisonduromanesqueet duréel
estproblématique.Il nesuffitpasdemettre“roman”pourpouvoir
porterà la présomptiond’innocenceouà la vieprivée.Maisquand
onestdansl’imaginaire,toutestpermis.
D’oùunescèned’inceste,desscènesdeviolence,d’actessexuels
nonconsentis...
Absolument.Maissurunsujetcommel’inceste,oùje vaisloin,
ouceluidessaveursdel’amourenfonctiondel’originedesper-
sonnes,je mesuisdemandé: “Est-ceque,dansuneépoqueoùla
libertéd’expressionrégresse,il estencorepossibledeparlerdeça,
mêmedansunroman?” Est-cequeje nevaispasmefairelyncher
surlesréseauxsociaux? AuxEtats-Unis,monlivrenepeutpasêtre
publiéparcequ’ilnepasseraitpasla barredes“sensitivereaders”.
Danschaquemaisond’édition,désormais,vousavezdesgensqui
vérifientsi telleoutellecommunautéoutellereligionn’estpas
heurtée...Unromann’aplusd’intérêts’ilnerestepasunimmense
espacedeliberté.Il estfaitpourdéranger,pourinterrogerlesmarges.
Pourfairerêver,parfois,maisaussipourexorcisernoscauchemars.
Quivousa donnélegoûtdel’écriture? Vosparents?
Mesparentsétaientdesgenstrèsmodesteset trèssimples,c’est
plutôtmongrandfrèrequim’adonnéle goûtdecertainslivres.A
commencerparceuxdeTolkienet deJulesVerne.Puisj’aidécouvert
VictorHugo.Cequimeplaîtchezlui,c’estle sensduromanesque
liéà la profondeurpolitique.Il y a toujoursunevisiondumonde
dansce qu’ilécrit.“L’hommequirit”estunefresqueextraordinaire
surle mondetelqu’ilest.
Vouscomprenezjeunequel’écriturepeutêtreuncheminpourvous?
Je n’osaispasy penser.Parcequeje ressentaisunvraicomplexe
social,parcequeje nepossédaisni la carteni lescodesculturels.
Maisje nele vivaispasmal,je sentaisquej’étaisjusteétrangerà ce
monde-là,moiquihabitaisrueduChemin-Vert,dansle XIearrondis-
sementparisien.C’estdelà quevientmonappétitpourla solitude,
l’impressiond’êtretoujoursunpeuendécalage,à côtédumonde.
Sivousvousmettezà écriredesbandesdessinées,c’estparceque
leromanvouseffraie? Parcequecelaestplusfacile? Moinsnoble?
Absolument. J’en écris d’abord parce que je n’ose pas m’attaquer
à un roman. Et parce que j’ai le goût de la singularité. Des avocats
qui avaient écrit des livres il y en avait déjà, mais des avocats deve-
nus de vrais auteurs professionnels de BD, ça n’existait pas. Et c’est
ce que je suis devenu. Je savais depuis l’enfance que j’étais capable
de raconter des histoires, parce que je m’en racontais beaucoup à
moi-même...
Vous écrivez à propos de l’enfance de votre héros qu’elle “fut atroce,
comme celle de tous les grands hommes”.
Car je suis convaincu que les grands destins ne se forgent pas dans
le bonheur mais dans les failles, dans la souffrance de l’enfance,
dans la folie, dans la singularité. Une vie heureuse ne produit pas
un moteur suffisant pour se dépasser. Dans mon cas, cela revient
au complexe social dont je parlais, qui finalement a été très structu-
rant. Car il m’a donné faim et il m’a donné un orgueil. L’orgueil de
vouloir être reconnu par mes pairs, de connaître une réussite pro-
fessionnelle, parce que, dans les yeux de mes parents, c’est ce qui
importe, l’orgueil de dépasser ma condition initiale.
« Je suis convaincu que les grands
destins ne se forgent pas dans le bonheur
mais dans les failles, dans
la souffrance de l’enfance, dans la folie.
Une vieheureuse neproduit pas
unmoteur suffisant pour se dépasser »
Richard Malka
PARISMATCHdU 11 aU 17 févRieR 2021