Paris Match - France (2021-02-11)

(Antfer) #1

En prison, il était poli, propre,


ne discutait avec personne,


faisait du sport et poursuivait


ses études de théologie


Enfévrier2009,
Farouk Ben Abbes, 23 ans.

êtud’unedoudouneet d’un
bonnetluitombantsurle
visage,FaroukBenAbbes
passeinaperçu dans cette
longueruedeBruxelles,ville
endormieparle Covid-19.De
raresbadaudsmasquéscroisentsonregard
noir,perçant.LasilhouetteduBelgo-Tuni-
siens’estarrondieaufil desans.Encettefin
d’après-midi,BenAbbeshâtele pasjusqu’à
savoiture,lesbraschargésdeprovisions.
Depuis troissemaines,il mèneunevie
simpleauprèsdesesproches.Expulsédu
territoirefrançaisle jeudi 21 janvier,il s’est
réfugiédansle gironfamilial.Unemaison
étroite,humble,dansunquartiertriste.Cet
hommed’apparenceordinaire,décritpar
sonentouragecommediscret,aimable,est
pourtantdepuisbientôtvingtansdansles
radarsdesservicesderenseignementfran-
çaiset belge,quile considèrentcommeune
desfigureslesplusinquiétantesdel’isla-
mismeradicalenEurope.
Sonretourà Bruxelles,sa villedenaissance,
estla suitedela peineinfligéeparla cour
d’appeldeParisle 3juillet 2019 : cinqans
deprison,dontdeuxavecsursis,pouravoir
animé,à la findesannées2000,le forumde
discussionAnsaral-Haqq(«Lespartisansde la
vérité»),unsitefrancophone– fermédepuis–
appelantaudjihadarmé.Lacondamnation
s’assortissaitd’uneinterdictiondeterritoire
pendantdixans.EnBelgique,BenAbbesest
donclibre.Et lesautoritésfrançaiseset belges,
embarrassées.Carsa libérationposedenou-
veaulaquestion du suivi des personnes mises
en cause dans les affaires liées au terrorisme,
et de la manière dont les Etats gèrent leur

retourà unevienormale.«Désormais,les
Belgesvontenquêteret ilsontsûrement
deschosesà luireprocher,nousconfieun
magistratfrançaisquile connaîtbien.Il
esttoujoursaussidangereuxcarcapable
defédérer.»
C’esten 2003 queFaroukBenAbbes,
18 ans,surgitdanslecollimateurdesser-
vicesbelges: sesmauvaisesfréquentations
lespréoccupent.Il claquela portedudomi-
cilefamilialunanaprès,blâmantlestenues
vestimentairesoccidentalesdesamère.A
la mêmeépoque,satrajectoirecroisecelle
desfameuxfrèresClain,alorsinstallésà
Bruxelles.Cesonteuxqui,plustard,reven-
diquerontlesattaquesdu 13 novembre 2015
à Parispourle comptedel’Etatislamique.
Ennovembre2006,onretrouvela tracede
BenAbbesenArabiesaoudite,oùil étudie
l’arabeet s’activeauseinduforumAnsar
al-Haqq; puisil réapparaîtenBelgique,en
janvier2007.Lesagentsdurenseignement
belgesontaussitôtsurle qui-vive,alertés
pardesinterceptionstéléphoniquesmises
enplacedansle cadredel’enquêtesurla
filièred’Artigat,nébuleusedjihadistequia
notammentforméMohamedMerah.Ces
écoutesrévèlentlesmanigancesdugroupe
d’extrémistesdontfaitpartieBenAbbes.
Ilsparlentd’inciterauboycottdesélec-
tionslégislativesbelgesdejuin 2007 car,
seloneux,la loideDieuprévautsurles
loisdémocratiques.Lavraiepersonnalitéde
BenAbbesse dessinealors: agressive, viru-
lente, ancrée dans ses convictions salafistes,
paranoïaque, pétrie de haine à l’égard des
Juifs et des institutions comme l’Onu. Ben
Abbes se fâche aussi avec son père, qui lui

reprochesa radicalitéet ses«amisbarbus».
Enjuin,il partauCairerejoindrelesfrères
Clain.Le 23 janvier 2008, six jours après
le blocus de la bande de Gaza par Israël,
des militants du Hamas ouvrent à l’explo-
sif le mur séparant l’enclave de l’Egypte.
DescentainesdemilliersdePalestinienss’y
engouffrent.BenAbbesprofiteduchaos
pourpénétrer,le 1erfévrier, dans la bande
de Gaza et se rapprocher d’un groupuscule
lié à Al-Qaïda. Il se forme pendant un an
au maniement des explosifs, écrivant à son
pèrequ’ils’estengagédansle djihadarmé.
BenAbbesa choisisoncamp.
Le 22 février 2009, une cinquantaine
d’élèvesdeLevallois-Perret,envoyagesco-
laire,découvrentle soukKhanel-Khalili,au
cœurduCaire.A 18h50, une bombe artisa-
nale explose, blessant la moitié des enfants
et tuant Cécile Vannier, 17 ans. Deux mois
plus tard, Ben Abbes est dénoncé par les
services syriens et arrêté dans la capitale
égyptienne. Selon les policiers, il aurait
avouéêtrel’instigateurdel’attentat.Au
coursdel’interrogatoire,il auraitaussi
affirmévouloirs’enprendreà «desinsti-
tutionsjuives» comme le Bataclan, faisant
allusion à la religion de l’ancien proprié-
taire de la salle de concert. A la suite de ses
aveux – obtenus, selon lui, sous la torture
et qu’ila rétractés–, BenAbbesestempri-
sonné,sansjugement,pendantunan.Le
8 mars 2010, les Egyptiens le renvoient en
Belgique où il retrouve sa liberté. Le com-
missairedivisionnaireJean-CharlesLamo-
nica,ancienattachédesécuritéfrançais
auCaire,raconte: «Je me souviens de la
visite à Paris de Hicham Barakat, troisième

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