PARISMATCH du 11 au 17 février 2021
ACTuAlITé
Quatrième ministre de l’environnement en trois ans,
elle a heureusement lecuir solide: « Plus on m’attaque,
plus je medis queje sersà quelque chose »
U
necornederhinocérossevendenvi-
ron 30000 eurosaumarchénoirquand,
autourduparcdeKaziranga,le salaire
mensuelmoyennedépassepas 200 euros.
Elleaurait,selonla médecinetradition-
nellechinoise,desvertusthérapeutiques
et agiraitsurla virilité.«Dessuperstitions!
Cepouvoiraphrodisiaquen’ajamaisété
prouvé», insisteArvindMadhavSingh,le
directeurgénéraldesforêtsdecetterégiondel’Assam,
dansle nord-estdel’Inde.«Touteslesespècesmena-
céesle sontpourcegenrederaison», grogneBarbara
Pompili,assisefaceà luipourle dîner.Enpleinepan-
démie,la ministredela Transitionécologiqueestvenue
consacrercinqjoursà la défensedusavoir-fairefrançais
enmatièrededéveloppementdurableet depréserva-
tiondela biodiversité.LesrhinocérosduKazirangalui
doiventd’ailleursbeaucoup...
Le lendemain,le jourse lèvelorsquelesresponsablesde
la réserveescortentla délégationfrançaisedansce parc
classéaupatrimoinemondialdel’Unesco.Sur 860 kilo-
mètrescarrés,il abriteunecentainedetigresduBengale,
deséléphants,presque 500 espècesd’oiseauxet surtout
2413 rhinocérosunicornes,soit 69 %dela population
mondiale.AprèstrenteminutesdeJeepdansla jungle,
l’armuregrised’unpremiermastodontese
distinguederrièredehautesherbes.Plusloin,
unehardedecerfsdesmaraiset desbuffles
d’Asies’enfoncentdanslesmarécages.Après
deuxheuressurla pistequilongele fleuve
Brahmapoutre,la ministreaperçoitunefemelled’une
dizained’annéesbroutantavecson«petit», unrhino-
cérosde2 ansquipèsedéjàunetonne.
Il y a unsiècle,il nerestaitqu’unevingtainedeces
bêtes.«Avecl’urbanisation,la pressiondémographique,
l’industrialisationet la surexploitation,lesvastesres-
sources forestièresdel’Assamétaientmenacées»,
expliqueBrunoBosle,directeurdel’Agencefrançaise
dedéveloppement(AFD)enInde.En2012,avecle gou-
vernementlocal,il lanceunprojetdeconservationdes
forêtset dela biodiversité: 80millionsd’eurosseront
prêtéssurdouzeans.Avecl’aidedeshabitants,devastes
zonesdeterressontreboisées.Pourrelancerl’économie
locale,plusde 6 000 personnessontforméesà desmétiers
différents– tissage,poterie,plomberie.Objectif: augmen-
ter le niveau de vie pour dissuader la contrebandeet la
coopération avec les trafiquants...
C’est aussi le dérèglement climatique qui menacele rhi-
nocéros, classé espèce vulnérable. Certes, les inondations
de la mousson permettent de maintenir l’écosystèmedes
zones humides. Mais, constate Barbara Pompili en découvrant les
repères de crues sur le mur d’un des postes d’observation antibra-
connage, l’eau monte de plus en plus haut. En 2020, le Brahmapoutre
a dépassé de 1,60 mètre le niveau d’alerte. Des animaux se noient,
d’autres se font écraser en traversant la nationale qui relie le parc
à Guwahati,capitaledela région.C’estpourquoil’AFDa subven-
tionnéla créationdetrente-troiscollinesleuroffrantunrefuge.Et des
«corridors» ontétécrééspourobligerlesautomobilistesà ralentir.
Lerhinocérosestdevenuiciunemblèmequiattirechaqueannée
200000 touristes,la plupartindiens.Mêmesi cechiffrerestebien
inférieuraux 2 millionsdevisiteursduparcKrugerenAfriquedu
Sud,«lesrhinossontsauvés,maisil fautrendretoutceladurable»,
insiste le directeur de la réserve, Periyasamy Sivakumar, en se féli-
citantd’avoirpuenvoyerdesspécimensrepeuplertroisautresparcs
del’Assam.ArvindMadhavSinghtientà jourtouteslesdonnées
chiffrées: il y a cinq ans, les chasseurs avaient abattu une trentaine
de pachydermes. L’an dernier, seules deux carcasses amputées de
leurcorneontétéretrouvées.Depuis2016,les 700 gardesontarrêté
373 braconniers.AmitSahai,responsabledela viesauvage,ajoute
qu’uneprocédureaccéléréeet un«tribunalvert» ontétémisen
placepoursanctionnerlesdélitsrelatifsauxatteintesà l’environ-
nement.«Çamedonnedesidées,toutça!» souritBarbaraPompili.
Autoriséeà tirerà vueencasdebesoin,la «forcedeprotection
spécialerhinos» a tué 14 suspectsencinqans.«Tué?» s’étonne la
ministrefrançaise,quinesouritplusdutout.
Jusqu’àla dernièreminute,ellea hésitéà maintenirce
déplacement.Maisle présidentdela Républiquea insisté:
l’Inde,quia acheté 36 avionsdecombatRafale,estunpar-
tenairestratégique.«Et le quatrièmeémetteurdegazà effet
deserreaumonde...rappelleBarbaraPompili.Ellea un
vrairôlemoteursurce sujet.» A Delhi,aupremierjourdesa visite,
elleenchaînelesentretiensavecsestroishomologuesà l’Environne-
mentet auChangementclimatique,auxEnergiesrenouvelableset à
l’Electricité,et enfinauLogementet auxAffairesurbaines...Preuve,
s’ilenfaut,del’épaisseurduportefeuilleministérieldela Française.
Aprèsundéjeunerrapide,elles’isoleavecsescollaborateursdansla
bibliothèquelambrisséedel’ambassadepouruneaudioconférence
avecl’équiperestéeà Paris.Lanumérotroisdugouvernementest
surtouslesfronts,maisplusacclaméeenIndequ’enFranceoù,
dansle cadrede«l’affairedusiècle», l’Etata étécondamnépour
«inactionclimatique». Unjugementhistorique.BarbaraPompili
rapprochesachaiseducombinétéléphoniqueet lâcheenriant:
«Faites-moile pointsurcettefichueloi». Le 10 février,elleprésen-
teraenConseildesministresla loi«Climatet résilience» issuedela
Conventioncitoyennepourle climat,quiseradébattuefinmarsà
l’Assemblée.Sonéquiperêvequ’elledeviennela «loiPompili». Ce
jour-là,le Conseild’Etatvenaitderendresonavis.«Il ditquel’inter-
dictiondelocationdespassoiresthermiquespeutse faireparvoie
réglementaire,souligneJackAzoulay,directeurdecabinet.Idempour
l’expérimentationdumenuvégétariendanslescantines.» Pompili
EnInde,un
«tribunalvert»
a été créé