«Mamadeleine
deProust,c’estle
court-bouillonde
poissonquecuisinait
mongrand-père»
proposéd’enregistrerlà-bas,j’ailouéune
maisonpendanttroismois.Hélènea tout
desuiteaimél’idée,je medoutaisqu’elle
s’yépanouiraitintellectuellement,tout
commemoi,d’ailleurs.
Cefurentcinqannéesderêve?
On a vécu dansune imagerêvée de
l’Angleterreenallantvoirdesspectacles,
descomédiesmusicales.Nousavionsl’im-
pressiond’êtredestouristesvivantà deux
heureset demiedeParis.Notrefils,Léonard,
étaitimmergédansle systèmeanglais,j’ai
ainsipuluioffrirquelquechosequiluiser-
viraplustard,je l’espère.Et ceCovidnous
esttombédessus...Commesouvent,quand
untrucgravearrive,ona enviederentrer
chezsoi,danssonpays.Onestpartisà toute
vitessese confinerchezmesbeaux-parents,
puisquenousn’avionsplusdemaisonen
France.Enjuillet,nousavonsprisla déci-
sionderentrerà Paris.Jesubodoraisque
lesallers-retoursavecl’Angleterren’allaient
plusêtreaussisimples...
Vousêtespartisà regret?
Non.Tantquej’aiunpianoet queje peux
composer,toutvabien.Maisquandtout
celaseraterminé,peut-êtrepartirons-nous
enItalieouenAllemagne,pourquoipas? Je
n’aijamaisvécudansle ronronnement.Je
notenéanmoinsqueje nesuispasunbon
touriste.Allermegobergerausoleil,çan’a
jamaisétémontruc.Jemesouviensd’un
voyageà CeylanavecFrance.[Il rit.]J’aifait
unecomédiepourrentrerle plustôtpossible,
tellementj’étaismalà l’aiseavecla plage,
lesgrandshôtels...
Lachanson“Commenttuvas?”évoquela
dépression.L’avez-vousdéjàconnue?
Pasdutout.C’estcequemeditHélène:
“Vousnesavezpascequ’estla dépression
nerveuseetvousnela comprenezpas.”
C’estvraiquecen’estpasmongenre.J’ai
connudeséchecs,maisje lesai avaléspour
mieuxrebondir.Quandil m’arriveunsale
truc,monpremierréflexeestd’essayerde
trouverla portedesortie.Jen’aijamais
vécudedépression.J’aiconnudesdéboires
amoureux, mais jamais le noir absolu.
Vousn’avezjamaisconsultéde
thérapeute?
Unefois,quandFrancem’a
quitté.J’aieu lachancede
tombersurunefemmeissue
d’uneécoleoùl’onparlaità sonclient.
Ellem’ad’embléedonnéla réponseque
j’attendais.Ellem’aexpliquéquele rapport
à la mèreétaitfondamental.J’avaisvécu
commeunabandonle faitd’êtreconfiéà
monpère.Dèsqueje meretrouvaisensitua-
tiond’abandon,je revivaisla séparationori-
ginelle.C’étaitextrêmementclair.Pendant
queje la payais,ellem’adit: “Onse revoit
la semaineprochaine?” J’aidit: “Oui,oui.”
Et je n’ysuisjamaisretourné.
VosrupturesavecMiou-MiououVirginieont
étéplusfacilesà vivre?
C’estlaforcedel’âge...J’avais 26 ans
quandFranceestpartie.J’airessentile même
malheurà chaqueséparation,maisje me
suiscontentéd’enparleravecmesproches
et mesamis.Hélène,quilitbeaucoupde
bouquinssurla méditation,meditsouvent:
“Vousméditezà votrefaçon.”Lesleçons
dechant,parexemple,nemeserventpas
seulementà musclermavoix.C’estuntra -
vailsurmoi-même,commele yogaquej’ai
pratiquéparZoompendantle confinement.
MarcLavoinevousa écrituntextesurvos
racinesguadeloupéennes.C’estunthèmeque
vousavezrevendiquétardivement...
Ouietnon.“Salut lescopains”m’avait
emmenéauxAntillesdès1971.Maisc’estvrai
qu’àcausedemesdeuxfoyers,je neparlais
pasdecettequestion.QuandGhislaine,ma
belle-mère,a vuqueje l’évoquaisdansmes
interviews,ellea dit: “Iln’enparlejamaisà
la maison!” MamadeleinedeProust,c’estle
court-bouillondepoissonquecuisinaitmon
grand-père.Commeil n’avaitpaslespoissons
delà-bas,il le préparaitavecdumaquereau.
Aujourd’huiencore,jecuisine cecourt-
bouillonavecdumaquereau,commelui.
Cegrand-pèreantillaisaétéunefigure
tutélaire?
Absolument. J’étais très fier de cette iden-
tité antillaise. Mon grand-père était tout
saufnonchalant, extrêmement
sévère et grave. Il ne pardonnait
pasà safilled’avoirdivorcé.
Luiet mamères’engueulaient
beaucoup.Unjour,il luia lancé:
“Tout ce qu’il te reste à faire, c’est de t’occu-
per de ton fils.” Il a fini par comprendre qu’il
devait partir et il s’est installé à Nice. Chaque
été, ma mère m’envoyait chez lui passer le
mois de vacances qui lui était alloué à elle. Il
était mon seul grand-père vivant, et Dieu sait
combien les rapports entre grands-parents et
petits-enfants sont importants...
Il estmêmevenuvivreavecvous.
Oui,je l’aiaccueillichezmoi,avenue
Victor-Hugo, quand je vivais avec France.
Quand nous sommes partis dans l’Yonne, il
nous a suivis. Il est enterré là-bas. Mais la
chanson de Marc Lavoine me renvoie sur-
tout à ma mère. Elle avait quelque chose
de tout à fait antillais que je retrouve
chez Vanille, ma fille qui vient d’avoir un
enfant avec un musicien brésilien, un petit
Léon, complètement caribéen. L’histoire se
répète. C’est chouette.
Dans“Lajeunefilleenfeu”,vousmettez
enmusiquelevioletlesviolencesfaitesaux
femmes.C’étaitnécessaire?
J’aidemandéuntexteà JeanneCherhal, et
ellemel’aécritenmedisant: “Quelqu’un
qui a chanté ‘Femmes,je vousaime’
devraitêtreintéresséparcethème.”Elle
avaitraison. J’ai toujours pensé que ce qui
compte, c’est l’art avant tout. Si l’auteur
trouve un angle intéressant, on peut tout
chanter. Cette chanson parle d’un combat
digne et nécessaire. Les choses changent
pour le meilleur. Oui, l’image de la femme
doit évoluer. Oui, il faut un salaire égal
entreleshommeset lesfemmes.Etnon,
il nefautpasqueleshommesprofitentde
leurposition de pouvoir.
4.Pourses 50 ans,entourédequatrede
sesenfants: Barnabé (dans ses bras) et Vanille
(en noir), qu’il a eus avec Virginie Coupérie-Eiffel,
Angèle (à g.) et Jeanne, les filles de Miou-Miou.
- En 2011, avec son benjamin, Léonard, 3 ans.
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