Paris Match - France (2021-02-25)

(Antfer) #1
GILLES
MARTIN-CHAUFFIER

LE JEU DE LOI :


UNE PARTIE SANS FIN
Cher Covid! A
cause de lui, tout s’arrête, tout est suspendu, tout est en
quarantaine, tout peut attendre... sauf la machine à faire
des lois. Personne n’arrive à suivre. Il paraît qu’en 2020,
le Parlement a promulgué 58 lois. Vous avez bien lu : 58!
Impossible de ne pas saluer l’exploit. On parle d’un vrai
parcours du combattant. Passage en commission, détour
éventuel en commission mixte, présentation en Conseil
des ministres, amendements, navette avec le Sénat,
passage possible au Conseil constitutionnel, à l’occa-
sion coup d’œil du Conseil d’Etat... Qu’importe, rien ne
décourage les princes qui nous gouvernent. C’est toute
l’année l’embouteillage.
Vous et moi, on repère une loi de temps en temps.
L’an dernier, en tant que journaliste, j’ai levé un sourcil
à propos de celle baptisée « sécurité globale ». Non pas
que le sujet m’intéresse : j’ose croire que sur
un tel thème, il y a déjà des milliers de textes
réglant tous les problèmes. Mais l’article 24
soulevait les passions : il nous menaçait! Sûre-
ment moins que l’autocensure et les fautes
de français, mais, enfin, mieux valait rester
sur nos gardes. Je vous rassure : tout est ren-
tré dans l’ordre. Quelqu’un quelque part réécrit l’article
suspect et le reste de la loi est encalminé dans une sou-
pente entre le Sénat et le Palais-Bourbon. Qu’elle repose
en paix au purgatoire législatif. Elle y retrouvera peut-être
la loi sur les retraites. Encore une qui a fait parler d’elle et
qui a mystérieusement filé au frigo. Entre-temps, plusieurs
autres avaient passé le bout du nez à l’Assemblée. A quel
propos? Tout et n’importe quoi. La maltraitance animale,
la bioéthique, les salaires des enseignants, le climat, l’ur-
gence sanitaire, les pompiers, le sport, le ceci, le cela...
On se dit que tout se réglerait bien plus vite par décret,
par règlement ou par ordonnance. Sans doute et même
sûrement mais, à ce prix-là, à quoi bon être ministre?
Un bon ministre laisse une loi à son nom. C’est comme
ça. Et tout est bon pour y arriver.
Regardez Jacqueline Gourault, responsable de la
Cohésion des territoires. Pour se glisser dans l’agenda
parlementaire, elle est prête à supprimer des articles, bien
sûr, mais aussi à en ajouter : dans son projet 4D (décen-
tralisation, déconcentration, différenciation, décomplexi-
fication), elle a inséré des dispositions sur le handicap

pour intéresser quelques députés à son projet. En ce
moment, on s’agite autour de lois sur le climat, l’égalité
des chances ou les principes républicains. Croyez-le ou
pas : cette dernière aborde encore la question du voile. Il
y a quinze ans qu’on fait des lois à ce propos. Comment
cette affaire n’est-elle pas encore réglée? Mystère. Que
c’était simple autrefois, quand régnait la loi de la jungle.
Au moins, on en comprenait la philosophie générale.
A présent, pour parler comme Boileau, on erre dans
les détours d’un dédale de lois et dans l’amas confus
de leurs chicanes. Plus personne ne croit qu’elles sont
faites pour aider, conseiller ou secourir. On dirait qu’elles
servent plutôt à noyer les problèmes. Et à les embrouil-
ler car si vous vous avisez de les lire sans traduction,
bon courage! D’abord, c’est interminable, ensuite, il faut
des compétences en grammaire antique, en latin et en
charabia juridique pour s’y repérer. Le bon
style vise juste, tire vite et passe à la phrase
suivante. Qui ne sait pas se borner ne sait
pas écrire. Là, on se noie dans des détails,
les articles se renvoient les uns les autres à
la figure, on embrouille tout et, à l’arrivée,
on hausse les épaules.
J’ignore si tous ces députés pensent droit, mais ils
tiennent vraiment leur stylo de travers. Est-ce qu’une
nouvelle loi ne pourrait pas rendre obligatoire l’usage
du français commun? La France était plus claire quand
tout se terminait par une chanson plutôt que par une
loi. Avoir de tels scrupules à rendre compliquées des
choses simples est presque admirable mais, à force de
ne pas connaître les lois, nous sommes privés en prime
du plaisir de les transgresser. Car, même si nul n’est
censé les ignorer, comment connaître cet Himalaya de
bla-bla? Il paraît qu’Emmanuel Macron, excédé à son
tour, a prié ses ministres de lever le stylo. C’est bien
aimable de sa part, mais je crains que, lui non plus,
on ne l’écoute guère. Car j’ai gardé le meilleur pour la
fin. Nos élus viennent de se rappeler que les élections
sont l’année prochaine. Encore une bonne occasion de
prendre la plume. Pour changer la loi électorale. Et je
vous préviens : ça s’annonce coton. On nous mijote de
la proportionnelle. Pourquoi pas? Mais de la propor-
tionnelle à la sauce parlementaire. Qu’est-ce que vous
pariez qu’on n’y comprendra rien?

L’AIR DU TEMPS


Impossible de
s’y retrouver dans
cet Himalaya de
bla-bla. Même pour
le transgresser

PARIS MATCH DU 25 FÉVRIER AU 3 MARS 2021


LA SEMAINE DE

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