Paris Match - France (2021-02-25)

(Antfer) #1

C



ES


T


L


A


Ça ressemble à une grenouil- VIE


lère pour adulte. Ce vêtement pour
bébé, en éponge, qui enveloppe le
corps complètement. Ça s’enfile, se
pressionne, c’est souple, confortable,
ça s’étire, vite mis, vite enlevé. L’outil
idéal des mamans pressées. Eh bien,
désormais, la grenouillère habille les
messieurs. Elle est tricotée en laine, à
imprimé géométrique, boutonnée du
buste jusqu’au pubis, signée Prada.
La marque nous avait habitués à
décaler l’uniforme, chez l’homme
comme chez la femme : lignes aus-
tères, classiques mais en tissus à
impression sixties ou tablier de cui-
sine ; vêtements étriqués ou surdimen-
sionnés. Jusque dans les accessoires :
mules à fourrure portées avec des soc-
quettes, et autres kitscheries. Miuccia
Prada aime bien surligner jusqu’au
pastiche nos standards du bon goût.
A 71 ans, et pour habiller l’hiver 2021-
2022, elle s’est choisi un partenaire :
Raf Simons, le Belge qui remplaça
Galliano chez Dior puis avait claqué
la porte après trois ans, estimant que
« tout va trop vite dans la mode, trop
précipité, plus le temps de réfléchir ».
Avec lui, Miuccia s’appuie sur un
caractère radical. Raf a pris le temps
de repenser les stéréotypes de la masculinité.
Un mâle en grenouillère, ça désarçonne. Corps masculin,
anguleux, musculeux, enroulé – emmailloté? – dans
cette combi-pantalon un peu flasque, mollement mou-
lante, l’image vient contredire l’archétype de la virilité
puissante. Habillez un homme en kilt ou en jupe longue,

Par Catherine Schwaab


en couleurs pastel ou en petites fleurs, en talons hauts et
bijoux, coiffez-le en chignon ou au carré, maquillez-lui les
yeux, mettez-lui du lipstick... c’est singulier, décalé, pro-
vocateur, ça crée un contraste, un choc. Mais justement,
ces artifices féminins le rendent encore plus... homme.
Là, j’avoue, je m’interroge sur les pensées de Raf Simons.
Faut-il qu’il soit fatigué, ce bel homme de 53 ans, de
subir les injonctions sexuées! Sa combi- pantalon tricotée
ramène à la reposante indétermination du nourrisson.
Ni fille ni garçon. Juste enfant. Des besoins. Des sensa-
tions. Des émotions. D’ailleurs le défilé Prada homme
s’appelle « Possible Feelings » comme
s’il se demandait quoi éprouver dans
cet encombrant corps masculin qui ne
se veut plus fantassin. Miuccia décrit
l’état d’esprit : « En ce moment, nous
manquons de tactilité, de toucher. Les
pièces reflètent un besoin de sentiment,
de réconfort, d’humanité et de sens. »
Bien résumé. Pauvres de nous...
Alors quel sens donner à sa combi-
pantalon dont le tricot jersey caresse chaque centimètre
du corps (corps parfait, bien sûr, imaginez la bedaine
sous le tricot !)? Il n’y a pas de sex-appeal, oh non. Plutôt
une demande de câlin comme un petit réclamant pro-
tection. Raf Simons a beau souligner que dans sa col-
lection « le corps est libéré », attention, ça n’est pas pour
se livrer aux pulsions érotiques. Raf encore : « Le corps
est protégé. La protection est importante, elle parle de
notre époque, de notre réalité. »
Sa réalité est en mal d’amour pur. Et, que ça nous
plaise ou pas, d’amour purement platonique. Regardez
les autres pièces du défilé : des manteaux boules oscillant
autour de la silhouette sans la toucher, des blousons de
cuir super-hyper-over-size. Les garçons ainsi cuirassés
déambulent dans un cocon capitonné de fausse fourrure.
Du rond, du doux, du mou, du doudou. On n’en sort pas.
A nous les femmes de brancher la boussole pour nous
extraire de ce labyrinthe de fuite. Remettre les pendules
à l’heure... et les bijoux de famille en ordre de marche.
En clair : ramener vers l’âge adulte nos sensualités
malmenées. En douceur. Sans déchirer le tricot.

Mâle, Mal


Nos hommes


sont-ils à la


recherche d’une


virilité perdue?


PARIS MATCH du 25 février au 3 mars 2021


VIVRE

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