Paris Match - France (2021-02-25)

(Antfer) #1
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Interview Clémence Duranton /Photos Hélène Pambrun
Il y a quinze ans, Raphael était perçu à tort comme un chan-
teur à midinettes. L’auteur de l’immense « Caravane », un titre pour-
tant si peu formaté pour être un tube, a vécu pleinement ce succès
avant de réaliser qu’il y avait plein d’autres pistes musicales à
explorer. De disque en disque, Raphael a tracé sa route, en filant la
métaphore artistique, que ce soit autour de la boxe ou de la météo
des sentiments. Snob malgré lui, il peut faire sourire avec ses réfé-
rences intellos. Mais le garçon de 45 ans ne manque pas d’humour,
et encore moins de sensibilité quand il s’agit de chanter l’amour.
Tel le dernier des romantiques? Christophe n’aurait pas dit mieux.

Paris Match. Vous aviez dit qu’avec “Anticyclone”, votre
disque précédent, les gens pourraient enfin comprendre
ce que vous racontiez. Qu’en est-il de celui-ci?
Raphael. J’ai le vocabulaire de Donald Trump dans cet
album! [Il rit.] C’est très simple! Je voulais un disque
sans chichis, percutant comme peut l’être le rock, avec
la même énergie, mais sur de la musique électronique.
Je prends chaque album comme si c’était le premier.
Je reconstruis tout comme une ville après un trem-
blement de terre. Et ça se voit, il y a une maladresse
qui pourrait être celle d’un mec de 25 ans. J’adore les
accidents en musique.
“Haute fidélité” est surtout un album qui parle d’amour.
Vous arrivez encore à trouver du romantisme dans cette
époque morose?
Eh oui. On peut mieux raconter le sentiment amou-
reux en musique que dans n’importe quel livre ou
dans n’importe quel film. En trois minutes, on en dit
autant qu’“Anna Karénine”. Si j’écris des nouvelles,
des poèmes, je parlerai politique, société, mais pas
en musique. Oui, je suis un romantique, dans le sens

galvaudé, gentleman, poli... Mais je le suis aussi dans le sens du
romantisme du XIXe siècle, où il y a une pensée morbide, où tout
est tourmenté. L’époque, comme je la vis, est romantique. Et ça me
plaît bien. Je ne suis pas du genre à dire : “C’était mieux avant.”
Ce qu’on vit en ce moment, la séparation, la distance, l’empêche-
ment, le danger, tout ça, c’est romantique.
Vous n’avez donc rien contre les confinements, les couvre-feux?
Si, comme tout le monde. On nous a enlevé la liberté de cir-
culation, donc c’était très curieux même si justifié. Au début, il
y avait une sidération, une joie qui vient quand tout est boule-
versé. Et quand on a pu circuler à nouveau, ça a donné du prix
à notre liberté. Mais on n’est jamais vraiment libres,
on a des attaches. Avec les réseaux sociaux, on a tel-
lement l’habitude de voir des gens vaniteux qui ont
une espèce de maladie de l’ego. On en oublie que si
on nous aime, ce n’est pas parce qu’on se regarde dans
la glace toute la journée. On nous aime parce qu’on
incarne une certaine liberté.
Vous n’aimez pas les réseaux sociaux?
Au printemps, j’ai vu ça comme la possibilité de créer
du lien. Je me suis dit : “Pour une fois qu’on peut uti-
liser ce moyen pour bouger son cul et faire quelque
chose pour les autres.” Mais quand on le fait dans la
vie “normale”, c’est juste une case de vanité et de pro-
motion en plus.
Vous avez quand même laissé les gens entrer chez
vous pendant le confinement et assister à une scène de
ménage en direct avec Mélanie Thierry...
Ils ont vu un bout de mur, une machine à café, ce n’est
rien. Après, oui, parfois il y avait de la vie autour mais
si peu... C’est bien de ne pas raconter sa vie. Ou alors
par des formes d’art. Si ma vie privée vous intéresse,
vous en saurez beaucoup plus en écoutant cet album

RaPHael le feu sous la gRâCe


Depuis vingt ans, il chante l’amour avec poésie et décrit


notre société avec lucidité. Hanté par le confinement, « Haute fidélité »,


son neuvième album, frappe par son élégance.


l’ent


R


et


I


en


Profil
1975
Naissance le 7 novembre
à Paris.
2003
Son duo avec
Jean-Louis Aubert,
« Sur la route », extrait
de son deuxième
album, le fait connaître
du grand public.
2005
Sortie de « Caravane »,
disque de diamant,
qui lui vaut trois
Victoires de la musique
l’année suivante.
2017
Il obtient le prix
Goncourt de la nouvelle
pour « Retourner à la
mer », son premier livre,
publié chez Gallimard.

PARIS MATCH dU 25 févrIEr AU 3 mArS 2021


LA SEMAINE dLA SEMAINE dEE

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