Paris Match - France (2021-02-25)

(Antfer) #1
qu’en me regardant manger des tartines en pyjama. C’est ce qui
m’intéresse dans la musique, dans les livres, dans les films, savoir
comment on parle de soi intimement, viscéralement, comment on
se raconte à travers des personnages.
Ce que vous faites dans “Haute fidélité”?
Ça me paraît évident, mais comme c’est moi qui écris, c’est
facile à dire! Ce disque parle d’amour d’une manière frontale, de
la perdition, quand on a besoin de se remettre à l’endroit, quand
on est essoré. “Tout le monde te connaît” parle de cet état-là. Il
parle aussi d’ivresse. Quand je dis : “Ne baisse jamais ton masque
mais laisse l’amour venir”, c’est comme une profession de foi. Il
faut laisser l’amour vous emporter, vous traverser, tout en gardant
un sanctuaire. “Impossible”, c’est le confinement. C’est regarder
les yaourts se périmer dans le frigo, l’appartement qui ressemble
à une prison, cette saison qui a un goût de cendres, cette envie
que le temps passe pour rompre la solitude.
Pourquoi ce “Norma Jean”, pour rendre hommage à Christophe?
C’était vraiment un maître. Pendant un mois après sa mort, j’étais
incapable d’écouter autre chose que lui, je voulais laisser sa déli-
catesse planer au-dessus de moi. J’étais en train de finaliser le
disque, je relisais les mails qu’on s’était envoyés, où il me disait :
“Je t’apporterai des roses Norma Jean blanches pour ton prochain
concert.” J’ai voulu faire une chanson pour répondre à son mail
baignée par un son proche du sien. Avec Christophe, on s’écrivait
des mails à 6 heures du mat’, je lui transférais le bruit de la mer,
lui m’envoyait le moteur d’une voiture qui tournait sur un circuit
– “Ecoute ça! ça, c’est le début d’un truc pour toi.” C’était le plus
moderne d’entre tous. Il a influencé ma musique. J’ai découvert
“Aline” petit, puis ses disques plus complexes. Avec lui, j’ai compris
qu’on pouvait passer de tubes populaires à des choses plus avant-
gardistes, que ce n’était pas incompatible. Je ne sais pas pourquoi
il m’a tant influencé, mais je l’aimais! Tout le monde l’aimait.
Vous avez fait appel à Pomme et à Clara Luciani. Pourquoi elles?
Clara a joué pendant un an dans mon groupe sur scène. J’adore
son perfectionnisme. Elle est venue à la maison, on a mangé
une pizza, ouvert une bouteille de rouge, fumé un cigare et on a
fait une chanson. C’était facile. Et Pomme, c’est une magnifique

chanteuse, elle aussi est très libre, dans une période très marketée,
très formatée. Je trouve toute cette génération brillante.
Cette nouvelle mouvance a aussi provoqué l’essor de la musique
urbaine. Un genre qui vous intéresse?
Je trouve que dans ce que fait Feu! Chatterton, qui m’a aussi
accompagné sur l’album, il y a quelque chose qui vient du rap, ça
me plaît énormément. J’aime beaucoup le rap, même si ce n’est
pas ce qu’on écoute le plus à la maison.
Pas même vos enfants de 7 et 12 ans?
Mes gosses, ils jouent Miyazaki au piano comme des dieux, ils
sont fascinés par les musiques de manga. Ils aiment Bowie. Et
Pomme, j’ai pu constater quand elle est venue à la maison qu’ils
l’aimaient beaucoup!
Sortir un album en 2021, ça ne vous semble pas old school?
C’est vrai que le concept d’album commence à être périmé. J’aime
créer un univers, c’est comme un recueil de nouvelles, mais je
n’ai pas de religion là-dessus. On peut imaginer, comme dans les
années 1960, sortir dix chansons isolées et qu’elles deviennent un
album. Je pourrais aussi sortir juste un titre. Je comprends cette
tendance ; moi-même, je n’ai pas acheté de disque depuis dix ans,
j’écoute tout sur Spotify.
Vous vous relancez dans l’écriture. Votre premier livre a obtenu le prix
Goncourt de la nouvelle. Cela crée une forme de pression?
Beaucoup. C’est peut-être pour ça que j’ai mis autant de temps,
que je me suis mis autant la pression. Quand tu as été accepté
dans le milieu littéraire, tu n’as pas envie de te saborder avec
un truc anecdotique après. J’ai peut-être trop réfléchi. C’est un
recueil de nouvelles très intime. J’écris aussi un roman, qui sor-
tira l’an prochain.
Et ce film que vous préparez depuis sept ans?
Il est toujours dans les tuyaux. Il manque encore un distributeur.
Ce n’est pas le meilleur moment, il y a un petit embouteillage...
Ça devrait se faire, je garde espoir!
Avez-vous découvert ou redécouvert des cinéastes pendant le confi-
nement?
J’ai un côté monomaniaque quand je mets le nez dans l’œuvre
de quelqu’un. J’ai redécouvert Bresson, Murnau et Rohmer. J’avais
ma vision de l’ado à qui on l’avait imposé et qui s’était fait chier.
Là, “Les nuits de la pleine lune”, “Ma nuit chez Maud”, j’ai trouvé
ça sublime, d’un érotisme fou. C’est un signe de vieillissement
d’aimer Rohmer? [Il rit.] Ou peut-être que j’étais juste très con
il y a trente ans... Ce n’est pas impossible!

« Rohmer, ado, ça me faisait


chier. Aujourd’hui, je trouve


ses films sublimes, d’un


érotisme fou. C’est peut-être


un signe de vieillissement...


Ou peut-être que j’étais juste


très con il y a trente ans! »


Raphael
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PARIS MATCH dU 25 févRIER AU 3 mARS 2021


LA SEMAINE dE

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