Paris Match - France (2021-02-25)

(Antfer) #1

avec l’armée, cette seconde famille qui lui
a toujours collé à la peau. Une institution
à laquelle il a consacré tant de reportages
depuis lors, sautant en parachute pour le
14 Juillet comme on saute sur Kolwezi,
embarquant dans des chars, des avions de
chasse. Pas froid aux yeux, le TF1 boy!
Rien à voir avec l’homme qui, début février,
se montrait impatient de savoir ce que j’avais
pensé de Stanislas, son héros ravagé du
ciboulot, qu’en tant que parrain des blessés
de guerre il avait rencontré trois ans plus tôt.
« Je n’ai jamais été aussi inquiet du regard de
l’autre que sur ce livre. Je suis en attente!
Tu l’as vu, je t’ai appelé quatre fois. Alors
que je n’ai jamais posé la question à un de
mes amis : “Dis-donc, tu as regardé, qu’est-
ce que tu as pensé de moi hier ?” Jamais!
Parce que quelque part, c’est mon métier.
Là, ça ne l’est pas. Je me suis mis un peu à
poil, en danger... » Son opération commando
littéraire, l’hyperactif l’a pourtant rondement
menée. Dès les premiers jours du confine-
ment, en mars 2020, Flammarion savait qu’il
remplirait l’objectif qu’il s’était fixé : rendre
son manuscrit de 350 pages en six mois,
pour une publication un an après. Guillaume
Robert, son éditeur, Hortense, sa compagne,


ne tarissent pas d’éloges sur les chapitres
qu’il rend chaque semaine comme un métro-
nome, de même que ses amis Patrice Dard
et le journaliste Thomas Hervé. Alors pour-
quoi tant de fébrilité? Sans doute la peur
de trop en dire sur lui-même. « L’écriture,
les mots, c’est mon mode d’expression de
l’intime, confie-t-il. Quand j’ai un souci
avec quelqu’un, je rédige un petit message.
Comme avec mes filles ados, par exemple.
Quand on n’est pas d’accord, qu’il y a des
“adhérences”, on communique comme ça. »
Trente minutes après mon arrivée aux
Invalides, où j’ai rendez-vous, Denis
ne répond pas présent. Un retard aussi
inhabituel que non réglementaire sur
l’horaire prévu, l’équivalent de cent années-
lumière dans l’espace brogniartesque. Stress
ante-critique du pote de Paris Match?
Négatif. Enfin, sur ce coup-là.
Car il est en grande conver-
sation avec le général Abad,
gouverneur militaire de Paris,
tout aussi disert que lui. « Un
homme absolument passion-
nant! Regarde, il m’a offert la nouvelle
médaille des Invalides, qu’il a conçue. Ça
s’ajoutera à ma collection! » De quoi s’in-
terroger sur la raison de sa passion pour la
Grande Muette, dont il est devenu le meil-
leur communicant à force d’admirer « ceux
qui nous défendent, que ce soit au Mali ou
gare du Nord, avec l’opération Sentinelle ».
Se sentirait-il en mission? « Non! Je ne suis
pas piloté par l’armée. Jamais personne
ne m’a dit quoi que ce soit pour ce livre,
où je montre d’ailleurs qu’il faudrait trai-
ter bien plus tôt les blessures psycholo-
giques, même si elles ne sont pas évidentes
à détecter. » Mais il assume sans complexe
son patriotisme, une valeur familiale viscé-
rale, transmise par ses deux grands-pères,
l’un prisonnier pendant la Seconde Guerre

mondiale, l’autre épris des récits de l’épopée
napoléonienne narrés dans un vieux bureau
empli de reliques impériales.
S’il a l’intrépidité de se frotter aux dégâts
du stress post-traumatique chez un soldat
français, Denis ne mesure peut-être pas assez
que se mettre dans la tête d’un homme brutal
avec les femmes risque de lui valoir un feu
nourri de reproches. A l’heure de #MeToo,
pas de collier d’immunité morale! D’autant
moins que le cas du soldat Stanislas est par-
ticulièrement gratiné dans le civil : il manque
d’étrangler Marie, sa compagne, la tabasse
régulièrement, fait le coup de poing dans les
bars. « J’ai été désarçonné par Stanislas. Il fait
le grand écart entre le héros que tu as envie
d’idolâtrer et le pauvre type qui s’enfonce
dans un mélange de médiocrité et d’alcool,
reconnaît-il. Mais des femmes m’ont déjà
confié qu’on ne le déteste
pas, assure-t-il. On ne le
comprend pas toujours,
mais on le plaint, on a
envie de l’aider... » Et de me
garantir aussi qu’il n’est
pas son double. Pas de syndrome Dr Jekyll
et Mr Hyde à diagnostiquer. « Moi, la moindre
bagarre m’effraie, je suis d’une non-violence
absolue. Mais j’aimerais avoir un peu plus
de son grain de folie, le courage, comme
lui, de me mettre en danger. » L’aventurier
regrette presque d’être un cartésien qui pèse
toujours le pour et le contre. « La maladie, la
mort, ce sont mes grosses faiblesses, avoue-
t-il. Quand j’avais 30 ans, je me disais : “A
50, tu vas avoir tellement peur de mourir !”»
Comme son père fauché à 49 ans par le can-
cer, à qui il dédie son livre. Et qui aurait été
fier que le fiston ne s’étale pas sur ses tracas
personnels mais mette sa plume au service
d’un autre. « Sinon, il m’aurait chambré : “Eh
Denis, continue à vivre un peu !” » C’est tout
le mal qu’on lui souhaite.

La bombe humaine
Du Kosovo à l’Afghanistan, en passant par l’Afrique, Stanislas a été
un combattant d’un courage exemplaire. Dans le civil, avec Marie, l’amour
de sa vie et mère de ses enfants, un homme violent, épouvantable... Denis
Brogniart se met dans la tête d’un combattant qu’il a longuement inter-
viewé, dans le déni permanent du stress post-traumatique qui le fait de
plus en plus dérailler. Dans ce récit au style direct, journalistique, parfois très
cru, il nous emporte dans le tourbillon de sa spirale destructrice... jusqu’à
la lente reconstruction. Eprouvant mais fascinant. F. L.

« Un soldat presque exemplaire », de Denis Brogniart, éd. Flammarion,
352 pages, 19,90 euros. Sortie le 3 mars.

Devant un char Renault FT
de 1915 exposé dans la cour de l’Hôtel
national des Invalides.


« moi, la moindre
bagarre m’effraie.
Je suis d’une
non-violence absolue »

DU 25 Février aU 3 marS 2021 PA RI S M AT C H
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