Paris Match - France (2021-02-25)

(Antfer) #1

Aux chercheurs de naviguer entre mille


sourires dans un océan de « problèmes techniques »


et de contrevérités distillées par Pékin


irologues, épidémiologistes,
microbiologistes, infectiologues,
les treize scientifiques choisis
et missionnés par l’Organisa-
tion mondiale de la santé (OMS)
sont rentrés de Chine. Un voyage
à Wuhan, ville berceau du fléau,
sous conditions strictes, imposées
par un régime autoritaire.
L’enquête a commencé par quinze jours
d’isolement à leur arrivée, mi-janvier.
Reclus dans leurs chambres d’hôtel, les
treize enchaînent les vidéoconférences avec
leurs homologues chinois, jusqu’à quinze
heures par jour. Des échanges sonores,
parfois agités « mais productifs », jure l’un
des envoyés spéciaux, Dominic Dwyer,
brillant microbiologiste australien. Réu-
nions et débats se succèdent, interrompus
par des tests Covid en pagaille, des pla-
teaux-repas plastifiés, des pauses cigarette
et des séances de sport. « J’ai testé toutes
les applications jogging disponibles sur mon
téléphone, et marché avec des poids aux
chevilles et des haltères : grisant! » raconte
Peter Daszak, le zoologiste anglo-américain
de la bande.
Le vendredi 29 janvier, sous un ciel chargé
de nuages, la quarantaine est enfin levée.
Dehors, Pékin a fait le ménage. Le gouver-

nement a condamné une jeune femme à
quatre ans de prison pour avoir osé chro-
niquer le quotidien confiné des Wuhanais.
Des policiers ont arraché des affiches à la
gloire du docteur Li Wenliang, le coura-
geux lanceur d’alerte décédé du Covid... La
liberté a ses limites. Les membres de la mis-
sion onusienne ne feront pas exception. Non
content de restreindre leurs déplacements
aux visites organisées par les autorités, le
gouvernement chinois invoque la « sécu-
rité nationale » pour réduire leurs contacts
avec leurs homologues du corps médical.
Les scientifiques ne sont pas dupes. Leur
mission? « Terriblement politique, lâche
Dominic Dwyer. C’est, jusqu’ici, la plus
compliquée de ma carrière. »
Car le monde les scrute. Une pression
lourde, désagréable. La communauté
internationale exige des réponses rapides ;
la Chine craint des reproches. « La visite de
l’OMS relève d’un projet de recherche, ce
n’est pas une enquête », avertit Zhao Lijian,
porte-parole du ministère des Affaires
étrangères.
Les vieux réflexes ont la vie dure. Aux
chercheurs de trouver leur chemin dans
un océan de contrevérités qui portent aussi
bien sur les prémices de la pandémie que
sur le nombre de morts : 4 636 décès en

un an, selon la recension officielle. Impos-
sible... La Chine balade gentiment le cor-
tège d’experts. D’abord au Wuhan Keting,
immense bâtiment transformé en musée.
Cette visite est programmée en préambule
du séjour. Chercheurs et volontaires peuvent
y découvrir « Priorité au peuple et à la vie »,
une exposition commémorative retraçant la
victoire du pays contre l’épidémie à travers
photos, vidéos et objets. « C’était intéres-
sant... », lâche sobrement l’un des visiteurs.
La suite du programme semble a priori
plus concrète. Hôpitaux, marchés, centres
de contrôle et de prévention des maladies
humaines et animales, centre du sang,
université agricole de Huazhong... Avec
minutie, les chercheurs fouillent les sites
sensibles, flanqués de leurs confrères, des
policiers chinois à leurs basques.
L’enjeu est d’enquêter de manière rigou-
reuse, en se gardant bien de critiquer l’ac-
cueil timide de Pékin : d’autres missions
sont prévues. Garder le sourire, donc. « Tout
s’est plutôt bien déroulé, raconte Dominic
Dwyer. L’ambiance avec nos homologues
chinois était assez conviviale, les polé-
miques et les ego mis de côté. Il y a eu des
désaccords, mais la priorité était d’avan-
cer sur nos recherches. » C’est-à-dire de
décrypter les mécanismes de transmission

PARIS MATCH du 25 février Au 3 mArs 2021

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