Paris Match - France (2021-02-25)

(Antfer) #1
A g. : visite du marché
des fruits de mer de
Huanan, un des premiers
clusters de la pandémie,
aujourd’hui fermé.
Ci-contre : un agent de
sécurité décolle les
affiches à la gloire des
médecins lanceurs
d’alerte, dont
Li Wenliang, décédé
du Covid.

du virus, de retracer l’historique des conta-
minations et d’établir leur itinéraire, afin de
tenter de déterminer l’origine du Covid-19.
« Trois groupes de travail, explique Dwyer,
ont étudié les liens entre le virus et la
faune, sa génétique et son épidémiologie.
Les rapports entre le Covid et les facteurs
susceptibles d’exercer une influence sur sa
fréquence, sa distribution, son évolution... »
Quotidiennement, les équipes traversent
Wuhan dans des berlines aux vitres tein-
tées. Il y a un an, la mégapole était une ville
morte, sous cloche ; aujourd’hui, le virus y
serait éradiqué, elle a ressuscité.
Pendant deux jours, les chercheurs ont
visité les hôpitaux Jinyntan et Xinhua, dont
le personnel soignant, inquiet de voir des
dizaines de patients se présenter fiévreux
et pris de toux, avait alerté les autorités.
Une année plus tard, les experts les inter-
rogent. Une question les taraude : quand
sont apparus les symptômes du corona-
virus? La Chine persiste à affirmer que
c’était en décembre 2019, mais des études
prouvent que treize séquences génétiques
différentes du Sars-CoV-2 circulaient déjà
à cette époque. « Ce qui signifie que le
Covid se propageait dans la population
dès l’automne! » traduit Dwyer. Les enquê-
teurs pressent les autorités de leur livrer les
dossiers des patients hospitalisés avec des
symptômes grippaux depuis octobre 2019.
Refus. Pékin campe sur ses positions, affir-
mant avoir examiné près de 76 000 profils
provenant de 233 établissements médicaux
de la ville. Seuls 92 correspondent aux cri-
tères de recherche. Parmi ceux-là, 60 ont
été testés et aucun n’était positif... Aberrant
lorsqu’on sait que 11 millions de personnes
habitent la mégapole. Les experts onusiens


insistent pour récupérer ces échantillons,
et 200 000 autres jamais analysés jusqu’à
présent. La Chine refuse encore, prétextant
des « problèmes techniques », promettant
des analyses supplémentaires. Belle tenta-
tive d’endormir la mission.
Approfondis, ces travaux pourraient
permettre de déterminer comment le virus
est passé de la chauve-souris aux humains.
Quatre hypothèses restent envisagées : une
transmission directe, une contamination
indirecte par un hôte intermédiaire, une
contamination indirecte via des aliments
congelés et, enfin, toujours l’évasion du
virus depuis une éprouvette de laboratoire.
Cette théorie, relayée par l’ancien gouver-
nement Trump, alimente de folles rumeurs.
Les scientifiques de l’OMS ont inspecté
l’Institut de virologie de Wuhan, visé par
ces accusations. Deux d’entre eux avaient,
dans le passé, collaboré avec le centre dont
les laboratoires détiennent 1 500 spéci-
mens de virus, la plus grande collection
au monde. Pendant quatre heures, ils ont
questionné le personnel et la
directrice, Shi Zhengli, alias
« Batwoman », spécialiste émi-
nente des coronavirus chez les
chauves-souris. Les scientifiques
sont sortis mutiques, se conten-
tant d’une déclaration lapidaire :
« Nous avons eu une discus-
sion franche et ouverte. L’hypo-
thèse d’une fuite est hautement
improbable. »
Etape suivante, les marchés. Dans le
brouillard hivernal, le cortège visite celui
de Baishazhou, puis celui des poissons de
Huanan, un hangar géant dont on prétend
qu’il fut le foyer incandescent du coro-
navirus. D’ordinaire, un mélange âcre de
relents d’ordures, de sang et de poisson
séché s’en dégage. Les halles grouillent de
commerçants, de badauds et... de mouches
charognardes. Des dizaines d’espèces d’ani-
maux vivants se vendent sous le manteau.
Chiens, serpents, porcs-épics, crocodiles,
louveteaux, salamandres géantes, pango-
lins, etc. En 2021, le lieu, « karchérisé » après
sa fermeture par les autorités chinoises,
semble écrasé par le silence. Mais une odeur
désagréable y flotte encore... Pendant plus
d’une heure, les scientifiques ont déam-
bulé entre les murs décrépis, les étals et
les aquariums vides et crasseux, où il n’y
a plus rien à trouver. La délégation doit
se satisfaire du millier d’échantillons de
sang mis à sa disposition, prélevés sur des

animaux morts ou vivants : chauves-souris
cachées dans les conduits de ventilation,
rats d’égout, chats errants autour du mar-
ché. Et aussi belettes, serpents, grenouilles,
tortues, visons, lapins... Les premiers résul-
tats laissent présager aux chercheurs étran-
gers que des bestiaux – civettes, visons et
chiens viverrins sont souvent évoqués –
auraient pu être infectés par des chauves-
souris dans des fermes éloignées de Wuhan,
dans le sud de la Chine, près des provinces
du Guangxi, du Guangdong et du Yunnan.
« C’est précisément là-bas, aux confins du
Laos, du Vietnam et de la Birmanie, dans
des grottes, que le plus proche parent du
virus du Covid-19, le RaTG13, a été décou-
vert sur des colonies de chauves-souris »,
rappelle Peter Daszak.
« Ces nombreux éléments prouveraient
que le marché n’est pas le foyer, seule-
ment un cluster », résume Dominic Dwyer.
D’autres informations appuient l’hypothèse.
Sur les 41 patients initialement hospitali-
sés pour une pneumonie puis identifiés
comme ayant une infection au
Sars-CoV-2 confirmée, seuls
deux tiers venaient de Huanan.
Dernier indice : « Le patient
zéro présumé, que nous avons
rencontré, aurait été infecté le
8 décembre 2019, précise Peter
Ben Embarek, chef du groupe de
l’OMS. C’est un homme d’une
quarantaine d’années sans lien
avec le marché, un employé
de bureau d’une entreprise privée, peu
adepte des randonnées et des sorties dans
la nature. »
Selon les premières conclusions partielles
de ce voyage, approuvées par les autorités
chinoises, l’origine du Covid pourrait donc
se situer à 2 000 kilomètres de Wuhan, peut-
être hors des frontières chinoises! Débar-
qué sur le marché de Huanan, boosté par
la densité humaine, le virus aurait explosé
et contaminé le monde.
Depuis qu’ils ont quitté la Chine, les
experts de l’OMS réclament de nouvelles
données scientifiques. Ce 18 février, l’Aus-
tralien Dominic Dwyer était confiant : « Il
reste des zones d’ombre, mais ce voyage
est une première étape très réussie. Les don-
nées récoltées sont précieuses et inédites.
Elles vont nous permettre de poursuivre nos
recherches. Il était impossible de percer les
mystères du Covid en deux semaines! » L’op-
timisme et le sourire, c’est aussi ce qu’on
apprend en Chine. Emilie Blachere

Selon les
autorités, l’origine
du virus pourrait
se situer à
2 000 kilomètres
de Wuhan,
peut-être hors des
frontières

du 00 MOIS 2021 PA RI S M AT C H

ACTuAlITé


du 25 févrIer au 3 MarS 2021 PA RI S M AT C H
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