Paris Match - France (2021-02-25)

(Antfer) #1

A-t-on vraiment


besoin d’un


cap Canaveral


au milieu des prairies


à pommes? plaisantent


les habitants


De notre envoyé spécial à Saint-Senier-de-Beuvron


I


l le concède : le mécanisme des neuf paraboles,
nichées chacune dans une boule blanche futuriste,
l’a intéressé, « mais seulement à titre profession-
nel ». Electricien-plombier-chauffagiste pour tout
l’hôpital de Saint-Hilaire-du-Harcouët et l’Ehpad
voisin – 391 lits au total, c’est dire qu’il ne chôme
pas –, Benoît Hamard, 43 ans, maire de Saint-
Senier-de-Beuvron (Manche), s’est donc penché
« vite fait » sur le fonctionnement de la station ter-
restre SpaceX qu’on veut coller sur sa commune.
Pour lui, c’est hors de question. Depuis octobre der-
nier, ce dossier lui pourrit la vie. La colère gagne peu à
peu sa population, 368  administrés combatifs et résis-
tants, comme leurs aînés pendant l’Occupation. L’an
dernier, donc, une société de fibre optique adresse à la
mairie une demande « pas très claire » pour installer une
antenne, 5 mètres carrés au sol, à proximité du data cen-
ter de La Gramelois, lieu-dit à 3 kilomètres du bourg.
C’est un grand bâtiment vert bourré de capteurs, situé
sur l’« autoroute » de la fibre optique qui part d’Espagne,
traverse la France d’ouest en est et file vers l’Allemagne.
Ces « gares-relais » recueillent les données des satellites
géostationnaires (36 000  kilomètres d’altitude). La société
de fibre demande en outre le nom du propriétaire du
terrain où elle compte caser son antenne. « Elle voulait
acheter au plus vite », raconte Benoît Hamard, qui, en
bon Normand, flaire « un truc pas net ». Il vérifie où se
trouve le terrain : « Il s’agissait d’un champ de 2,8 hec-
tares! Tout ça pour une antenne? »
Avec l’aide précieuse de Valentin Quehin, secrétaire de
mairie, Benoît Hamard mène sa petite enquête et s’aper-
çoit que la société de fibre, simple prestataire, dissimule
une pléiade de sociétés-écrans, dont Tibro (orbite en ver-
lan). Toutes aboutissent à SpaceX (astronautique et vols
spatiaux), dont la capitalisation boursière lui donne le
vertige : 170 milliards de dollars, huit fois plus que PSA
et Renault réunis. SpaceX, comprend-il, veut lancer, pen-
dant plusieurs décennies et à l’aide de ses fusées réutili-
sables, 42 000 satellites en orbite basse (600 kilomètres).
Projet titanesque, baptisé Starlink, destiné à connecter

les « zones blanches » de la planète, hors les deux pôles. Oserait-on
installer un cap Canaveral à Saint-Senier, au milieu des prairies à
pommes? De courriel en courriel chaque fois plus secs avec le pres-
tataire, le maire finit par comprendre que SpaceX – avec qui le dia-
logue est aujourd’hui rompu – entend implanter neuf paraboles et
un local technique. Bref : une station terrestre. « C’était pas du tout la
même chanson! tempête-t-il encore. Ils nous ont pris pour des lapins
de six semaines. Ils nous embrouillaient sans cesse. Pour eux, rien
n’allait assez vite. Mais nous, à Saint-Senier, on a tout notre temps. »
Il réclame des garanties contre la nocivité des ondes émises. Pas
de réponse, sinon des graphiques incompréhensibles et une note
inquiétante sur les niveaux de rayonnement, débutant ainsi : « Les
passerelles SpaceX sont “généralement” conformes... » Il exige des
études de sol, car chaque parabole sera enterrée avec son moteur
à 2,3 mètres de profondeur. « Pollueront-ils la rivière du Beuvron
que nous buvons à l’eau du robinet? s’interroge-t-il. Pour détendre
l’atmosphère, SpaceX m’a organisé une visioconférence avec des
pompiers américains m’expliquant combien la station terrestre pou-
vait être utile, la leur les dirigeant dans leurs feux de forêt. Tout ça
était très gentil mais, ici, on n’est pas en Amérique. » Après cette
visio, la chose qui, plus encore que le reste, a agacé l’édile de Saint-
Senier est l’entourloupe avérée du permis de construire : « SpaceX
nous a rempli une déclaration préalable de travaux pour 5 mètres
carrés, non soumise à permis de construire car en deçà de 20 mètres
carrés. Or, l’ensemble du projet en compte 62! Le 4 février, j’ai réuni

ACTUALITÉ


PARIS MATCH DU 25 FÉVRIER AU 3 MARS 2021


Dimitri et Anne-Laure Gesbert-Falguières, dans leur jardin
situé à une centaine de mètres seulement du futur site d’implantation.


Rennes

Saint-Brieuc

Saint-Malo SAINT-SENIER- DE-BEUVRON
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