Paris Match - France (2021-02-25)

(Antfer) #1
« Pour les
Américains, rien
n’allait assez vite,
mais nous,
à Saint-Senier,
on a tout
notre temps »

le conseil qui a voté “non” au permis de construire. » Un
bras d’honneur, en somme, pour autant de mauvaises
manières qui ne génèrent aucun emploi.
Ce veto, révélé par « La Gazette de la Manche », a fait
le tour de la planète aussi vite qu’un satellite. Mais le
maire le sait : le préfet peut donner son accord et, pire,
la station peut être déclarée d’utilité publique. Le 1er décembre der-
nier, l’Autorité de régulation des communications électroniques
(Arcep) donne son feu vert. Le 22 janvier, l’Agence nationale des
fréquences (ANFR) autorise les émissions. Ces instances ont véri-
fié – sur papier – que les ondes ne brouilleraient pas celles déjà
existantes. L’ANFR ira contrôler sur place que les puissances utili-
sées ne dépassent pas les normes, mais, hélas, après l’éventuelle
construction de la station. L’Agence s’apprête d’ailleurs à faire de
même à Villenave-d’Ornon (Gironde) où la station n’est pas encore
en service. Son existence a fait hurler certains élus. Pour la troisième
et dernière station française du projet SpaceX, située à Gravelines
(Nord), le maire a « différé son avis ».
« N’allez pas penser, précise Benoît Hamard, que nous sommes des
sous-développés, vent debout contre le progrès. Mais a-t-on besoin
de SpaceX? J’ai d’autres priorités, notamment me battre pour gar-
der l’Ehpad du village [50 lits, 30  soignants], entièrement géré par
une association, mais que l’Agence régionale de santé (Ars) souhaite
déménager dans une grande structure. » Benoît Hamard découvre
que derrière SpaceX se cache le Canadien Elon Musk, 49  ans, cofon-
dateur des voitures électriques Tesla, dont la fortune frise les 40 mil-
liards de dollars et dont, jusque-là, il ignorait tout. Un adversaire de
taille! Imprévisible et visionnaire, Musk lance en orbite, en 2018,
une Tesla Roadster rouge, laquelle s’écrasera sur Terre dans des
millions d’années. A Saint-Senier, certains rêveraient qu’il soit lui-
même à l’intérieur, sinon sur la Planète rouge où il compte envoyer
80 000  hommes d’ici à 2040 et souhaite être enterré. « Le personnage
veut toujours plus », estime le maire qui se remémore souvent cette
phrase entendue à l’école : « Le progrès tuera l’homme. »
Alors, comment faire le poids? Benoît Hamard peut compter sur un
allié de taille. « On ne va pas lâcher le morceau », prévient François
Dufour, 68 ans, conseiller régional de Normandie (affilié EELV).
Ancien porte-parole de la Confédération paysanne, cofondateur
d’Attac, il a donné de la voix et du muscle dans la lutte anti-OGM
avec José Bové. « Beaucoup d’inconnues demeurent sur les champs
électromagnétiques et la pollution des sols, constate-t-il. Cela peut
aboutir à des nuisances irréversibles sur le vivant. SpaceX veut passer


en force. On n’est pas des paysans fran-
chouillards mais des citoyens qui veulent
être respectés. On résistera jusqu’à ce qu’on
obtienne des réponses. »
Les plus ennuyés, dans l’histoire, ce sont
certainement les voisins directs du site.
Dimitri et Anne-Laure Gesbert-Falguières, 44 et 40 ans,
se sont installés il y a quinze ans à La Gramelois, dans
une ancienne bâtisse qu’ils ont joliment rénovée. Lui est
dessinateur dans un cabinet d’architectes. Elle, guide
dans la baie du Mont-Saint-Michel. Après Le Havre et
Rouen, ils ont eu des désirs de grand air : potager, serre,
volailles, deux ânes pour leurs « randos », des abeilles qui
donnent 20 kilos de miel de châtaignier et un superbe
paon bleu de Sèvres nommé Griffon. Les voilà rattrapés
par plus vertigineux que le progrès : le futur. Les neuf
boules blanches, hautes de 2,70 mètres, sont à 114 mètres
de leur maison et à 76 mètres de la balançoire de leurs
deux enfants, 12 et 10  ans. Le bruit, le rayonnement des
ondes, les champs magnétiques... ils ont monté tout
un dossier, se font des briefings au petit déjeuner. « On
n’est pas des technophobes bouseux ou des bobos chics,
disent-ils. On est connectés. Mais on veut connaître les
risques. » Pour l’heure, la nuit, ils cauchemardent. Les
scientifiques que nous avons joints se veulent rassurants :
la puissance de ces paraboles ne dépasse pas celle des
cars régie de télévision, et elles n’émettent que vers le
ciel. Même si tous ces satellites, si bas, fausseront les
données des astronomes.
A Saint-Senier, on craint de « servir de cobayes » et
de « se prendre sur la tête » quantité de satellites « mal
orientés ». La dernière fusée réutilisable d’Elon Musk ne
vient-elle pas de se casser lamentablement la gueule? Si
encore, plaisante-t-on au village, Elon Musk avait offert
une Tesla à tout le monde – tant qu’à faire, le modèle à
215 000 euros – et financé le petit Ehpad ou proposé que
sa femme, la chanteuse électro Grimes, 32  ans, jugée
ici « parfaitement déjantée », vienne se produire à la tra -
ditionnelle fête au Méchoui, le 2 juillet, c’eût peut-être
été « une tout autre chanson »... « Pas du tout! rétorque
le maire avec vigueur. Nous sommes des esprits sains
qu’on n’achète pas !» Arnaud Bizot

du 00 MOIS 2021 PA RI S M AT C H

Simulation de la station terrestre avec
ses neuf dômes électriques. Pour l’instant, la mairie
refuse le permis de construire.

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