Paris Match - France (2021-02-25)

(Antfer) #1

Janot Dominici :


« Je m’en veux. On aurait


pu le sauver. J’en veux


aussi aux psys qui n’ont


pas pris la maladie


de mon fils au sérieux »


De notre envoyé spécial à Hyères


J


anot se tient déjà là, campé,
à la sortie de l’aéroport de
Toulon. Le père de Christophe
Dominici a tenu à venir
nous accueillir. D’habitude,
explique-t-il, il venait cher-
cher son fils. Il lui ressemble
beaucoup : même regard
intense, mais bleu, même
carrure, à peine voûtée par les années,
même énergie et même générosité. Il porte
un masque aux couleurs du XV de France,
marche d’un pas vif et répète souvent « Je
suis franc », comme pour s’excuser de
nommer les choses. Ses mains serrent le
volant. Il nous emmène au bord de la mer,
à Hyères, près de la maison de vacances où
Christophe Dominici est « presque né ». Il
y a passé son enfance à nager dans l’eau
turquoise, à sauter du haut des falaises.
Les quatre cents coups au soleil du Midi.
Puis, comme tous les jours ou peu s’en
faut, Janot reprend la route et part se
recueillir au cimetière de la Ritorte, fermant
les poings entre les croix et les cyprès.
Devant la tombe fleurie par des proches,
des amis de passage, Bernard Laporte la
semaine dernière, Max Guazzini une fois
par mois, ou par des fans inconnus, le père
parle à son fils. Et finit toujours par lui
poser la question : « Pourquoi? »
Janot ne prononce pas le mot « suicide » ;
trop fort, trop dur, trop simple, trop bête.
Il parle d’un accident, une chute pendant

une crise, une bouffée délirante aiguë.
Christophe n’était plus Christophe quand
il a chuté ou sauté. Et depuis bientôt trois
mois, Janot n’est plus Janot. Il ne dort
presque pas, se réveille vers 2 heures du
matin, descend les escaliers du joli mas
qu’il a refait à neuf « pour [son] fils », passe
à côté du salon transformé en mausolée où
sont exposés coupes, médailles, flasques
de whisky, photos et maillots du cham-
pion, puis s’assoit devant la cheminée
que Christophe aimait entendre crépiter.
Il regarde à droite, à gauche, comme si
son fils pouvait surgir : « C’est terrible, je
l’attends, je l’attends tout le temps. » Et,
comme tous les jours, il ressasse inlassa-
blement ce 24 novembre qui lui a volé son
fils à l’âge de 48 ans alors qu’il avait déjà
perdu sa fille de 24 ans, Pascale, dans un
accident de voiture en 1986.
Janot se rappelle le coup de fil de l’ami
d’enfance, Coco, qui n’appelait jamais et
qui lui demande : « Ça va? » avant de raccro-
cher. « Il n’osait pas me l’annoncer et je ne
lui en veux pas. » Janot se repasse en boucle
la dernière conversation téléphonique avec
son fils, deux jours avant sa mort. La voix
de Christophe Dominici est lasse, traînante.
Janot comprend que quelque chose ne file
pas droit. En juillet, en proie à un épisode
dépressif après l’échec de la reprise du
club de Béziers, Christophe a été interné
à deux reprises, dans une clinique puis
une maison de repos ; depuis, il est sous
traitement médicamenteux. Janot connaît

son fils ; il n’est pas certain qu’il le suive
scrupuleusement. Il propose de venir chez
lui, à Boulogne. « Mais non, je vais bien,
je dors la nuit ; si tu devais venir, je te le
dirais », ment Christophe, qui a toujours
pris soin de cacher ses failles à ses parents.
Loretta, sa femme, le leur confirmera après
la tragédie : il ne dormait quasiment plus,
faisait des cauchemars, se sentait épié,
menacé. « Il nous protégeait. On a découvert
à quel point il avait souffert de la mort de sa
sœur uniquement en lisant son livre, “Bleu
à l’âme”, vingt ans plus tard. » Janot est prêt
à partir quand même pour Boulogne mais
il souffre d’une rage de dents. « D’habitude,
mon dentiste me prend en urgence. Mais
cette fois-là, il était au chevet de son propre
père. Je n’ai pas pu partir. »
Rongé par la culpabilité, Janot repense
à ces détails minuscules qui auraient pu,
croit-il, infléchir le cours du destin : « Je
m’en veux. On aurait pu le sauver, ça tient à
si peu de choses! J’en veux aussi aux psys
qui n’ont pas pris au sérieux la maladie
de mon fils, à quoi servent ces gens? Une
ordonnance et des visioconférences, ça ne
suffisait pas pour le guérir. » Nicole, la mère
de Christophe, passe une tête dans le salon.
Elle aussi épuisée, elle a trop de peine pour
trouver encore des mots. Elle montre juste
quelques vieilles photos qu’elle tient dans
ses mains. Sur l’une d’elles, Christophe a
14 ans. Il porte une cravate, tout sourire,
au côté de sa sœur, Pascale, un soir où
ils sont partis « faire la révolution en boîte

PARIS MATCH du 25 février au 3 mars 2021


ACTuAlITé

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