Paris Match - France (2021-02-25)

(Antfer) #1
« Ne demandez
pas à un homme
qui a perdu
ses deux enfants
de croire en Dieu »

Janot devant le caveau
où reposent ses enfants, au cimetière
de la Ritorte, à Hyères, le 11 février.

Le mausolée
à la mémoire de
Christophe
dans la maison
de Solliès-Pont.

Enrichie du témoignage
de ses proches, la réédition
de « Bleu à l’âme »,
l’autobiographie
de Christophe Dominici
(Cherche-Midi).

de nuit ». « Ce sont les photos
de nos jours heureux », soupire
Nicole. Janot regarde le sol. Il se
remémore son départ en trombe
juste après avoir appris la nou-
velle par l’ancienne femme de ménage de
Christophe, l’arrivée à Boulogne à 2 heures
du matin, les filles du rugbyman endor-
mies, Loretta abasourdie, le cauchemar
irréel de cette scène qui, depuis, s’entre-
mêle avec les souvenirs de l’autre tragé-
die : la mort de Pascale. « Je me rappelle
ce gendarme qui nous a réveillés au milieu
de la nuit et qui m’a demandé si j’étais
bien le père de Pascale Dominici, raconte
Janot. Les habits qu’elle portait au moment
de l’accident et qu’ils nous ont rendus au
commissariat. Pendant six mois, je ne
savais plus si j’étais en vie. Pendant vingt
ans, je ne suis pas entré dans sa chambre,
dans laquelle sont encore rangés ses vête-
ments. Christophe est resté cloîtré trois
mois. Il n’a pas pleuré. Aucun de nous
trois ne s’est remis de cette perte. Mais la
carrière de Christophe, sa réussite, sa gen-
tillesse et sa générosité nous ont aidés. On
allait mieux grâce à lui, il cherchait à nous
faire plaisir. J’ai vécu tant de bonheurs,
avec lui... Et voilà. Maintenant, on a tout
perdu. On ne tient que pour nos petites-
filles. Quand elles voleront de leurs propres
ailes, on pourra partir. »
Lors de l’enterrement, en l’église Saint-
Louis, à Hyères, Janot s’est adressé au
prêtre : « Ne demandez pas à un homme


qui a perdu ses deux enfants
de croire en Dieu. » Le prêtre ne
l’a pas contredit. Au cours de
cette cérémonie comme de celle
qui s’était déroulée plus tôt à
Boulogne, beaucoup d’anciens joueurs et de
proches ont demandé à Janot où trouver le
livre de son fils, depuis longtemps épuisé.
« Ils avaient besoin de retrouver un peu de
son âme, je crois. Sur Internet, des types le
vendaient d’occasion à 80 euros. Alors j’ai
appelé Dominique. » Dominique Bonnot,
journaliste à « L’Equipe », avait prêté sa
plume à Christophe Dominici, en 2007,
pour l’aider à raconter sa vie, ses drames,
ses failles, ses combats. Avec Janot et les
éditions du Cherche-Midi, ils ont décidé de
rééditer l’ouvrage, qui sortira le 25 février,
en lui adjoignant les témoignages émou-
vants de Yann Delaigue, Fabien Galthié,
Max Guazzini et Bernard Laporte, et
surtout une longue lettre de Janot à son fils,
bouleversante, dans laquelle il se souvient
des moments doux, fous, époustouflants,
passés en compagnie de son champion.
Paisible, planté de citronniers, d’orangers,
d’un pin magnifique et d’oliviers vieux de
plusieurs siècles, le jardin des parents de
Christophe Dominici a accueilli tous les étés
sa famille, au bord de la piscine. L’ancien
joueur du XV de France, reconverti entre
autres dans le commerce du vin et de l’eau
gazeuse, adorait s’y détendre entre deux
réunions. Au mois d’août 2020, tout juste
sorti de son séjour en maison de repos,

alors que la reprise du club de Béziers était
compromise, il y a reçu sous la tonnelle
l’investisseur Samir Ben Romdhane et
les siens, qui sont restés quinze jours.
Ce Franco-Tunisien résidant aux Emirats
arabes unis était censé financer l’opération.
Mais le projet était jugé irréaliste par les
instances du rugby. Dominici, pourtant, y
croyait encore : « Ben Romdhane l’appelait
“mon frère” et se faisait appeler “l’émir”, se
souvient Janot. On n’a jamais vu la couleur
de l’argent qu’il promettait. Ici, il a visité
des villas à vendre pour des dizaines de
millions d’euros. Il n’en a acheté aucune.
C’était du vent. »
Au mois d’octobre, quand Christophe
Dominici a compris qu’il s’était illusionné,
tout s’est effondré. Humilié, blessé par les
réactions et les commentaires du monde
du rugby, lui qui avait tant besoin de se
sentir aimé s’est cru rejeté. « Quand je
vois tous les témoignages d’amour et de
respect qu’il a reçus depuis sa mort, ça me
met en colère », se désole son père. Dans
le dernier SMS qu’il lui a envoyé, hélas
en vain, il tentait de relativiser : « Le père
de Joe Biden lui a toujours dit (car tu sais
qu’il a eu beaucoup de malheurs dans sa
vie) : “Champion! La mesure d’un homme
n’est pas la fréquence à laquelle il tombe,
mais la vitesse à laquelle il se relève.” Et
moi, je te dis pareil, mon chéri. Je t’aime. »
Christophe Dominici lui a répondu : « Je
t’aime, papa. »
Janot regarde encore une fois autour de
lui, comme si Christophe allait surgir : « Je
l’attends, je l’attends tout le temps. »
Nicolas Delesalle

Du 25 févriEr au 3 Mars 2021 PA RI S M AT C H
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