Paris Match - France (2021-02-25)

(Antfer) #1
En 2000, avec le
président Bill Clinton,
ancien élève de
l’université catholique
de Georgetown.
En bas, le 20 janvier
2021, pendant la
cérémonie
d’investiture, à
Washington.

Vous êtes célèbre aux Etats-Unis pour la passion avec laquelle vous
défendez les migrants. Est-ce toujours votre cause prioritaire?
Depuis cinq ans, je dirige la mission pour le SJR [Service jésuite des
réfugiés]. Les réfugiés et la politique migratoire américaine restent
à mes yeux une priorité. En 2018, à travers mon livre co écrit avec
Scott Rose, “Heureux soient les réfugiés : les béatitudes des enfants
immigrés”, que le vice-président Joe Biden avait préfacé, j’ai ouver-
tement critiqué la politique de l’époque sur le sujet. Notre nation
a été bâtie par des migrants, qu’ils soient de langue espagnole ou
anglaise. Comme les Kennedy ou les Biden, mes grands-parents
venaient d’Irlande... Notre complicité a aussi grandi sur ces ori-
gines communes. Même si j’appartiens à la troisième génération née
sur le sol américain et suis fier de notre monument funéraire dans
le Queens, je me sens toujours proche des émigrés. D’ailleurs, les
jésuites ont une longue tradition d’accompagnement des migrants.
Dès novembre 2020, le nouveau président a participé à la collecte
organisée par notre service. Chez vous, la volonté de s’intégrer est
en partie évaluée au travers de la langue ; ainsi notre association
de la rue d’Assas, dirigée à Paris par le père Paumard, dispense-
t-elle des cours de français. Mais ici, où ce n’est pas grave de parler
un anglais approximatif, hésitant, le SJR se concentre surtout sur
l’aumônerie et le soutien pastoral. Et grande nouvelle : le président
Biden a annoncé qu’il avait pour objectif de faire passer le nombre
des réfugiés autorisés aux Etats-Unis de 15 000 à 125 000 par an.
Cela prouve combien il est concerné par ce sujet.
Docteur en théologie des universités de Georgetown et de Münster,
vous avez publié de nombreux livres et enseigné dans les facultés les
plus prestigieuses.
Georgetown, que j’ai présidée douze années durant, est la plus
ancienne université catholique des Etats-Unis. Nous recevons les
enfants de hautes personnalités... tels Abdallah de Jordanie, l’actuel
roi Felipe d’Espagne – qui, le jour de l’investiture de Joe Biden, m’a
appelé sur mon portable pour me demander de le saluer respectueu-
sement –, Bill Clinton, Ron Klain, proche collaborateur du président
Biden, Jon Ossoff, sénateur de Géorgie, et tant d’autres... Tout comme
des étudiants modestes, ou issus des minorités. Je suis aussi passé
par d’autres postes, comme celui onze années durant de membre
du conseil d’administration des Studios Disney... Michael Eisner, le
père d’un de mes élèves, m’avait demandé d’y siéger pour apporter
mon point de vue de religieux et d’enseignant. Mes jetons de pré-
sence allaient, vous le devinez, à la province jésuite.
Connaissez-vous la France?
J’aime votre pays où j’ai déjà fait cinq retraites. Je suis fasciné
par la cathédrale de Chartres et, chaque fois, le père Euvé, un ami
jésuite, me prête ses jumelles pour que je puisse mieux admirer
ses vitraux, ses sculptures et son architecture gothique. J’avais
23 ans la première fois que je suis venu en France. Grâce à une
bourse, j’ai pu étudier à Lyon et apprécier entre autres la cuisine
française. Un délice que ces cuisses de grenouilles et ces escargots
savourés sur le zinc d’un bouchon lyonnais, tout près de la rue de
la Charité – ça ne s’invente pas – où je louais une chambre, chez
Mme Angelier! En ce temps-là, je voulais devenir médecin psy-
chiatre. Enfin... j’hésitais. Puis, l’année suivante, de retour aux
Etats-Unis, j’ai fait le choix le plus important de mon existence :
entrer dans la Compagnie de Jésus.
Un président catholique peut-il changer le monde?
Les réfugiés, l’écologie sont pour Joe Biden des sujets incontour-
nables. Si sa politique dans ce domaine est efficace, elle obtiendra


l’adhésion du peuple américain, qui est extrêmement
généreux. Selon le Haut-Commissariat des Nations
unies pour les réfugiés, leur nombre est aujourd’hui de
79,5 millions, soit plus que la population de la France
et de la Belgique réunies! Quel gâchis, quel drame
de laisser des enfants dans des camps, d’en faire des
générations d’apatrides... Beaucoup d’acteurs impor-
tants de l’économie et des sciences sont fils d’immi-
grés ou de réfugiés. Regardez Steve Jobs, cofondateur
d’Apple : Jandali, son père, était le benjamin d’une
famille syrienne de neuf enfants. Et Jeff Bezos, fon-
dateur d’Amazon : adopté par un immigré cubain!
Sans compter nombre de Prix Nobel de médecine, de
physique... des grands chercheurs.
Le fait d’être croyant et pratiquant influence-t-il le
président Biden?
Cela a forgé son caractère, l’a aidé à accepter son des-
tin. S’aimer les uns les autres signifie s’occuper de tous,
même des prisonniers! L’un des autres problèmes de taille
du XXIe siècle reste la question raciale. L’Eglise protège
l’unité du peuple, mais les Blancs doivent se réveiller,
arrêter de croire en une quelconque suprématie, admettre
que les Noirs sont pleins de talent et de ressources. Etre
enfant de Dieu, en ayant à ses côtés, au quotidien, la
présence du Seigneur, donne de la force au président et
le guide, je crois, jour après jour...
Et avoir un père jésuite qui murmure à son oreille?
Je joue humblement les lanceurs d’alerte... celui qui ose
lui parler des êtres humains au destin cruel. Je suis en
quelque sorte l’avocat des faibles. Interview Caroline Pigozzi

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