Paris Match - France (2021-02-25)

(Antfer) #1

Drogue, BTP, immobilier,


night-clubs... De Menton à Marseille,


les Calabrais maîtrisent


les fondamentaux de la « malavita »


Dans le clan
Magnoli
De g. à dr. : Antonio,
Luciano et Ippolito, les
trois frères ; Girolamo,
et Domenico, fils de
Serafino (autre frère
Magnoli), et Girolamo,
fils d’Ippolito. Tous sont
emprisonnés pour trafic
de stupéfiants.

PARIS MATCH Du 25 février au 3 Mars 2021


de Vallauris, en la personne de son cousin
Domenico, un gaillard de 39 ans. Crâne rasé,
regard ténébreux, Domenico semble sur ses
gardes. Mais, ce même hiver, il commet l’im-
prudence de se rendre seul dans une clinique
de Cosenza pour une liposuccion. Inscrit sous
un nom d’emprunt, il passe sur le billard et
se réveille avec une impression étrange. Les
policiers déguisés en infirmiers ont déposé
leurs bouquets de fleurs et sorti les menottes.
En 2011, Luciano, qui avait « échappé à la
vigilance de la police », est rattrapé à Taggia,
un village de Ligurie prisé des mafieux. Avec
son allure de vacancier, il passait inaperçu.
Un sympathique « plagiste » qui maniait pour-
tant sept téléphones!
Deux frères Magnoli tombent encore,
cette fois dans l’affaire « Trattino ». Inventifs,
Antonio et Rocco avaient mis au point une
nouvelle forme de commerce triangulaire.
Un voilier chargeait au Maroc 300 kilos
de haschisch, qu’il livrait aux Antilles en
échange de 90 kilos de cocaïne. « Pendant leur
procès, les juges ont déroulé la généalogie de
la famille en remontant jusqu’au XIXe siècle »,
se souvient un participant abasourdi. Chez
les Magnoli, cinq frères et deux neveux crou-
pissent déjà derrière des barreaux, et un
troisième neveu ne tardera pas à les rejoindre.
Le 27 mai 2019, Domenico réapparaît dans
le bistrot familial de Vallauris, tenu par un

cousin. Il fréquente depuis toujours ce bar
éclairé au néon, niché sous une pergola à côté
d’une pizzeria. Cette fois, il n’y vient pas pour
commenter un match de foot. Il doit tenir
audience. Des membres de la ’Ndrangheta
débarquent d’Italie pour traiter d’une affaire
grave : deux Français ont dérobé 11 kilos de
cocaïne à un cousin par ailleurs commer-
çant, Carmelo Sgro. Sur les nerfs, celui-ci
veut leur régler leur compte. « No, no, no! »
Domenico calme les esprits, refroidit les vel-
léités de vengeance. Les protagonistes dis-
cutent, exposent leur différend sans méfiance,
« en famille ». Et Domenico obtient gain de
cause : grâce à sa diplomatie, le butin sera res -
titué en 48 heures sans heurts! « Pour éviter
un bain de sang, Domenico Magnoli a sans
doute fait valoir le potentiel criminel de sa
lignée », commente l’officier des carabiniers
Fabrizio Perna. Mais le mafieux ignore qu’il
vient de fournir aux policiers qui, dehors,
ont branché leurs grandes oreilles l’élément
qui leur manque pour caractériser l’associa-
tion mafieuse. Les magistrats italiens invitent
à Gênes leurs homologues marseillais pour
signer une équipe commune d’enquête (ECE).
L’opération « Ponente Forever » est lancée.
Elle sera codirigée par le lieutenant-colonel
Laurent Lambert, de la gendarmerie natio-
nale, et le lieutenant-colonel Fabrizio Perna. Et
permettra l’arrestation, le 15 septembre 2020,

d’une quarantaine de trafiquants en lien
avec la mafia calabraise, dont Domenico
Magnoli aujourd’hui i ncarcéré à la prison
des Baumettes, à Marseille.
Pour Francesco Cozzi, le procureur de la
République antimafia à Gênes, qui officie
en Ligurie, base stratégique des Magnoli
depuis quarante ans, l’histoire est banale.
Pour lui, ce n’est pas un hasard si Vintimille
et Bordighera, les deux villes les plus proches
de la France, ont vu leurs conseils municipaux
dissous en 2012 pour « infiltration mafieuse ».
En face de son bureau, un portrait massif
du dernier doge. En 1797, la République à
Gênes était renversée par Napoléon. Les
Français faisaient vaciller cette partie éclai-
rée de la péninsule, vantée par Montesquieu.
Aujourd’hui, la malavita calabraise colonise
les Alpes-Maritimes. Il a fallu du temps aux
Français pour comprendre la véritable nature
de ces bruns ténébreux. « On ne compte plus
le nombre de fugitifs qui se sont planqués sur
la Côte d’Azur », s’exclame Cozzi.
De Menton à Marseille, la ’Ndrangheta
maîtrise les fondamentaux de la malavita.
Elle a aussi pénétré le tissus économique
légal. Certaines de leurs entreprises raflent
de gros appels d’offres de marchés publics
sans que les services de la préfecture par-
viennent à trouver la faille. « On a du mal
à faire face », reconnaît le général d’armée
David Galtier, qui a dirigé la lutte contre les
mafias dans le sud de la France entre 2013
et 2017. « Je ne parle pas seulement des
enquêteurs, mais aussi des magistrats qui
peinent à qualifier les infractions. » L’ancien
officier de gendarmerie milite pour un sys-
tème pénal à l’italienne. A quand un maxi-
procès en France? « On n’en est pas encore
là! Reste à démontrer formellement l’appar-
tenance de cette clique à ‘Ndrangheta. Face
à la menace, les Italiens sont bien outillés.
Pas les Français. » François de labarre
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