Paris Match - France (2021-02-25)

(Antfer) #1

Ça la désespère, mais elle sait que sur Instagram les photos d’elle


en maillot lui rapportent plus de « likes » que ses exploits


De notre envoyée spéciale à La Réunion
près une séance de yoga matinale et un plongeon au
lagon de l’Ermitage, Johanne Defay saute dans un
van poussiéreux, dont le coffre déborde de planches
de surf et de skate. La journée s’annonce enso-
leillée sur l’île de La Réunion. En chemin pour
Saint-Gilles, chez elle, la surfeuse marque un
arrêt chez un maraîcher de fortune, en bord de
route, pour faire le plein de fruits. « J’adore cui-
siner, confie-t-elle. J’ai du temps en ce moment,
donc j’en profite. » Il n’y a pas si longtemps,
la numéro un française et européenne de surf
passait neuf mois de l’année en vadrouille. Attablée
avec une mangue fraîche, à l’ombre d’un palmier, dans
son petit jardin tropical, elle savoure la tranquillité
de son île... Une tranquillité relative : le chant des
oiseaux belliers est couvert par le
bruit des hélicoptères qui, chargés
de touristes, virevoltent au-dessus
des plages et des cirques.
En quelques mois, la vie de Johanne
Defay a radicalement changé. Pour
la première fois depuis dix ans, la
championne a été contrainte de poser
sa planche pour une durée indéter-
minée. Unique interruption de son
chômage technique : une compétition
à Hawaii, en décembre. Depuis, les
annulations se multiplient et les Jeux
olympiques de Tokyo, en juillet 2021,
semblent désormais incertains. S’il
existe des clichés sur le monde du
surf, de l’hédonisme iodé aux pen-
chants babas cool de ses pratiquants,
Johanne n’incarne aucun d’entre eux
– à l’exception peut-être d’un bron-
zage enviable et d’une bague portée

à un doigt de pied. Elle a un corps d’athlète et un mental de vain-
queur : « Ce sont la discipline rigoureuse et le dépassement de soi
qui me font rêver. » La preuve : elle est neuvième au classement de
la World Surf League, seule Française du lot.
Pendant ce repos forcé, Johanne profite de sa famille, certes, mais
éprouve des difficultés pour pratiquer son sport. Et le Covid n’est
pas en cause. Depuis 2011, l’île subit d’incessantes attaques de
requins. Quelques rares sessions sont organisées avec des hommes-
grenouilles du dispositif « vigies requins », et sa planche est équi-
pée d’un système pour repousser les squales. Mais l’activité reste
déconseillée et, pour Johanne, les entraînements se font rares.
« Quand les attaques ont commencé, explique-t-elle, je passais
beaucoup de temps à l’étranger. J’ai appris à m’organiser différem-
ment. J’arrive plus tôt sur les spots de compétition pour m’exercer.
A quelques années près, ma carrière aurait été impossible. » Elle se
rattrape sur le yoga, le skate, la randonnée, la course à pied. Fut
un temps, pourtant, où l’île était un para-
dis pour amateurs de glisse. « Le point fort
de Johanne est qu’elle n’a pas peur des
vagues de reef, confie son coach Simon
Paillard. C’est précisément parce qu’elle
a débuté ici et que La Réunion est entou-
rée d’une barrière de corail. »
Née au Puy-en-Velay, elle avait à peine
2 mois quand ses parents, un médecin
et une infirmière, ont troqué l’Auvergne
contre une île tropicale. « Nous sommes
partis avec une valise chacun. Nous
étions très confiants », se souvient Josée,
la mère de Johanne. Sitôt débarqué, le
père se met au surf et initie sa fille. Elle
rechigne d’abord, mais, une fois inscrite,
elle se démarque. A 12 ans, elle participe
au Marmaille Tour et gagne un billet pour
la métropole où a lieu une compétition, à
Seignosse, dans les Landes. Sa mère l’ac-
compagne et, pour réduire les frais, elles


  1. A 7 ans, sur la plage
    d’Etang-Salé, à La Réunion
    où elle a grandi.

  2. Avec Josée, sa mère,
    sa plus grande supportrice.
    Le 6 janvier à La Réunion.

  3. A Bali, avec Bruno, son père.
    Dix ans seulement et déjà au bout
    du monde pour faire du surf.


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