Paris Match - France (2021-02-25)

(Antfer) #1

plantent la tente au camping local. Premier d’une longue série
de voyages pour surfer les spots les plus reculés du globe. « Je
n’avais pas prévu d’en faire mon métier, je me suis laissée porter. »
Convaincus que l’école de la vie vaut bien celle imposée par l’Etat,
ses parents soutiennent sa carrière naissante et les cours passent
en arrière-plan. Malgré les mois d’absence, Johanne obtient son
bac en candidate libre.
En 2014, championne d’Europe pour la quatrième fois, elle se
qualifie pour le Woman’s World Championship Tour, le Graal des
surfeurs internationaux. Mais son sponsor principal, Roxy, la laisse
tomber. Etonnant, en pleine ascension! Johanne Defay apprend
à demi-mot que son physique l’a desservie. Elle n’a pas la taille
mannequin. « Un coup dur à encaisser, confie-t-elle. J’ai souvent
rêvé de faire du snowboard, d’être cachée derrière mes moufles et
mes lunettes de soleil et qu’on ne voie pas mon corps, mais le surf
se pratique en Bikini et nous sommes jugés sur notre plastique. »
Au-delà de l’ego, sa carrière est mise en péril par la perte de son
sponsor. Participer au World Tour, soit dix coupes du monde dans des
spots différents, coûte 80 000 euros par an. Johanne Defay n’aban-
donne pas, elle improvise et surnage grâce à un autre champion
de surf français. Jérémy Flores va la soutenir financièrement pen-
dant deux ans. « Nous sommes tous deux originaires d’une île per-
due de l’océan Indien, cela crée une solidarité. Jérémy sait ce que
c’est de débarquer sur le World Tour et d’être le seul Français dans
cette institution américaine. » En parallèle, elle lance une cagnotte
en ligne pour démarrer sa saison. En quelques jours, l’objectif est
largement dépassé. Pourtant, malgré les encouragements, ses débuts
sont laborieux. « Je me prenais raclée sur raclée, je voyageais avec
ma maman sans moyens. J’étais le Petit Poucet », raconte-t-elle,
mi-hilare, mi-désolée. A force de travail, Johanne Defay se hisse
vers le haut du classement. Elle décroche le titre de Rookie of the
Year 2014 (meilleure débutante de l’année) et, deux ans plus tard,
la marque Superdry devient son sponsor principal.
Johanne, qui vit de son sport depuis quatre ans, semble épanouie
et heureuse dans l’époque qui est la sienne, mais elle déplore un
méfait du monde moderne : ses exploits d’athlète se déroulent
autant sur les réseaux sociaux que sur les vagues. « Je peux gagner


une compétition à Fidji, mais tout ce qui intéresse les
marques, ce sont le nombre de followers sur Instagram
et mon taux d’engagement. Ça me désespère et, pour-
tant, je suis la première à prendre en photo mes cafés! »
Bien qu’elle admette que les clichés de ses fesses en
maillot lui rapportent des « likes », Johanne s’est fixé
une ligne de conduite : mettre en avant ses talents de
sportive, quitte à perdre des opportunités financières.
Plus jeune, elle vivait peut-être au gré des vents et des
marées, mais elle a appris la rigueur auprès de Simon
Paillard. Coach et préparateur mental, il commence à
l’entraîner lorsqu’elle débute son premier World Tour.
Six mois plus tard, ils tombent amoureux. « Avant de
rencontrer Sim, je n’avais pas envisagé mon parcours
comme celui d’une championne. Il m’a appris à me
recentrer et à me fixer des objectifs. »
Au moins, en partageant son quotidien avec son
coach, aucun risque de se laisser aller. Tous deux pas-
sionnés de sport, ils forment une équipe solide. « Couple
et coach n’est pas un équilibre simple à maintenir,
rappelle Johanne. Quand une compétition s’est mal
déroulée, les vingt-quatre heures qui suivent sont diffi-
ciles. Son boulot est de pointer mes erreurs et non pas
de me réconforter. Quelques tensions peuvent surgir. »
Ensemble, malgré la jeunesse de Johanne, 27 ans, ils
préparent son « après ». A force de sillonner la planète,
Johanne songe à jeter l’ancre. « J’aime passionnément
le surf et la compétition, mais je n’ai pas envie de sacri-
fier ma vie de famille trop longtemps. » Elle et lui sou-
haiteraient créer une salle de sport, animer des stages
de surf... Ils ont raison, la discipline semble tendance.
Mais, pour l’heure, Johanne n’a pas dit son dernier
mot, et sa passion ne diminue pas. Elle travaille avec
un objectif clair : « Je compte participer aux JO de Paris
en 2024, à Tahiti, que je gagnerai bien évidemment! »
Si la retraite se profile, à Paris comme à Tokyo, pas
question de rater la vague. Margaret Macdonald

A Saint-Gilles,
à La Réunion,
le 6 janvier. Depuis
2011, plus
question de faire du
surf sans l’escorte
d’un « vigie requin ».

du 25 février au 3 mars 2021 PA RI S M AT C H
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