Paris Match - France (2021-02-25)

(Antfer) #1

Par Dan Nisand / Photos François Quillacq
« Je veux que la société m’aille comme cette
combinaison! » clame joyeusement Yseult, en cares-
sant sans fin le tissu qui l’habille et la dévoile. Casey
Cadwallader et les couturières de la maison Mugler ont
fait de la belle ouvrage : le vêtement épouse à merveille
les formes de la chanteuse. « Ça fait du bien de se sentir
écoutée et de voir Casey mettre son expertise au service
d’une femme qui a un corps comme le mien, obèse. »
Chez Yseult, tout déborde : la chair, la chevelure, la
colère aussi. Colère d’appartenir à ce peuple d’invisibles,
les trop gros, les trop noirs, les trop ceci, pas assez cela,
exclus d’une culture dont les normes se font passer pour
la normalité. « La musique, la mode doivent refléter notre
société », martèle la chanteuse. Mais pour oser l’affirmer,
il a fallu faire du chemin! « J’étais frustrée et complexée,
car je n’avais aucun modèle qui me permettait de m’iden-
tifier. Je parlais de mon corps avec dégoût et amertume. »
Dans les magasins, elle ne trouve même pas de quoi se
vêtir et doit s’en remettre à une marque anglaise qui pro-
pose de très grandes tailles. Elle finira par se faire confec-
tionner des fringues sur mesure par un jeune créateur.
« Quand on a ma corpulence et qu’on est bien habillée,
on se sent moins exclue de la société. »
La mode, Yseult s’y intéresse depuis son plus jeune
âge. Ado, elle s’improvisait blogueuse lors des fashion
weeks. « Je collecte constamment des images de looks
qui me plaisent. La mode est un complément de mon
expression en tant qu’artiste. »
Le premier couturier à lui ouvrir les portes de la fashion
sphere sera Olivier Rousteing, qui l’invite en


ViVe le body!
« Le chemin est long en tant que femme grosse,
en tant que femme oubliée de la société. » Avec
ce discours lors des Victoires de la musique,
Yseult témoigne de la difficulté à gravir les éche-
lons quand on ne correspond pas aux stéréotypes.
Mais le chemin dont elle parle est déjà bien entamé.
La volonté d’inclusion est en marche. Les diktats
tombent petit à petit. Aux Etats-Unis, la chanteuse
Lizzo a ouvert la voie. En octobre dernier, elle faisait
la couverture du « Vogue » américain : « Je suis la pre-
mière grosse femme noire en couverture de “Vogue”.
Notre temps est venu », a-t-elle déclaré. Alors que les
filles aux lignes voluptueuses étaient rarissimes dans
les castings des défilés, elles sont aujourd’hui tout
autant désirées que les top models « traditionnels ».
Cela fait plus de dix ans que certains se battent pour faire
accepter ces filles qui témoignent d’une réalité : en 2010, Marc
Jacobs ou Jean Paul Gaultier faisaient défiler Beth Ditto, la chan-
teuse du groupe Gossip. Mais, en 2021, ce n’est pas juste une
femme plus-size qui est sur le podium en VIP, mais plusieurs. Les
corps taille mannequin sont mêlés aux corps généreux. C’est le
mouvement « body positive », où chacun s’accepte quelles que
soient ses mensurations. Tess Holliday, 2,1 millions d’abonnés sur
Instagram, qui a lancé @effyourbeautystandards, ou Jari Jones,
égérie Calvin Klein, mais aussi actrice, réalisatrice et activiste
trans et plus-size, illustrent ce mouvement. « La demande de
mannequins aux courbes généreuses pour les défilés est encore
plus forte aux Etats-Unis qu’en France, analyse Sylvie Fabregon,
directrice du département Plus chez Models.fr. Pour les cam-
pagnes de beauté ou les pubs lambda, on a effectivement plus
de requêtes. Cependant, on reste une agence de mannequins,
donc les filles qui sont chez Agence Plus Paris ne sont certes pas
des brindilles, mais ont tout de même un certain charisme et une
photogénie nécessaires à ce métier. » Une chose est sûre : tout
évolue. Durant les défilés de New York printemps-été 2020, il y
avait 68 modèles grande taille pour 19 défilés, un record! Ashley
Graham, Tara Lynn, Clémentine Desseaux, Denise Bidot, Paloma
Elsesser, Alexis Ruby, la liste des filles plantureuses qui sont
maintenant des stars est longue. Leur fierté à toutes : contribuer
à changer la façon dont le monde voit la mode. Et faire ainsi de
la mode un monde plus bienveillant. Sophie Gachet

Tess Holliday défile pour la collection
printemps-été 2020 de la griffe Chromat.

La chanteuse
américaine Lizzo a conquis
les magazines.

Dernières
retouches sur
le blazer
des Victoires,
avec Casey
et sa chef
d’atelier.

« C’est au vêtement de seoir au Corps


et non le Contraire. Je ne veux pas que les


gens se sentent exClus »


Casey Cadwallader


[suite page 96]

VIVRE

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