Paris Match - France (2021-02-25)

(Antfer) #1
guest-star lors de l’étonnant show Balmain
sur une péniche parisienne, en juillet 2020.
Vêtue d’une resplendissante robe blanche, la
chanteuse livre une performance céleste sur
fond de tour Eiffel.
Cette première rencontre en préfigure bien
d’autres, mais une en particulier : depuis
toujours, la maison Mugler semble attendre
une personnalité comme celle d’Yseult. Dès
les années 1980, Thierry Mugler cultivait
l’esprit d’inclusion et de métissage, dyna-
mitant les normes établies. « Il a toujours
cherché à représenter la diversité des indi-
vidus et des expressions de genre », rappelle
Casey Cadwallader, directeur de création
de la marque. Celui qui a habillé Ariana
Grande, Beyoncé, Kylie Jenner ou encore
Aya Nakamura s’enthousiasme à l’idée de
préparer avec Yseult sa performance aux
Victoires de la musique. Le corps de la
chanteuse, imposant et majestueux comme
un monument, offre au styliste américain
l’occasion d’approfondir son exploration des
structures et de la matérialité des formes.
« J’ai étudié l’architecture, rappelle-t-il, et je
vois le corps comme une sculpture qu’on
peut habiller pour le sublimer. » Depuis son
arrivée dans la maison de couture, il y a
trois ans, Cadwallader en perpétue l’ouverture d’esprit.
Il a fait défiler des transsexuels, des femmes corpulentes
et même, l’été dernier, un boulanger en talons aiguilles!
Ce qui rassemble les deux artistes, c’est cette étonnante
subversion qui consiste à montrer, donc à imposer , de
simples réalités étrangement mises à l’index, comme le
surpoids ou la diversité des corps. « C’est la mode en
général qui est une subversion de la réalité, objecte le
couturier. Je n’aime pas l’idée qu’une femme ressorte
d’une boutique en se sentant inadaptée aux tenues
qu’elle a essayées. Un styliste ne devrait pas créer des
vêtements qui ne peuvent aller qu’à une minorité. »
C’est au vêtement de seoir au corps, et non le contraire,
rappelle-t-il. Or tous les corps sont différents. Uniques.
« Que la mode puisse ignorer des personnes aussi belles
qu’Yseult m’exaspère. Je ne veux pas que les gens se
sentent exclus par des vêtements. C’est juste une ques-
tion technique qu’on doit chercher à résoudre. »
Le styliste joint le geste à la parole, en adaptant pour
la chanteuse la combinaison intégrale, iconique chez
Mugler. « Sur ces modèles, il y a un travail de construction
avec au minimum 65 pièces de tissu. Mais, une fois la

géométrie en place, la combinai-
son est très flexible et convient
à tous les types de corps. » Pour
Yseult, l’expérience est un
enchantement. « J’apprécie vrai-
ment le soin qu’il y a eu autour
de ma morphologie. Je ne me
suis jamais sentie jugée. Casey
réfléchissait constamment pour
redessiner des courbes en fonc-
tion de la forme de mes fesses,
de mon ventre, de mes seins... »
Dans le studio de la maison
Mugler, lors des essayages,
l’artiste montre une aisance
incroyable. « Ce corps, j’ai appris
à l’aimer, mais aussi à le détester.
J’accepte cette dualité. Je ne
cherche plus à me cacher, mais
j’ai pris mes distances avec les
injonctions “body positive”. Dire
aux gens qu’ils doivent s’aimer
à tout prix, ça ne les aide pas. »
L’évidence s’impose : elle est
faite pour la mode et la mode
pour elle. Dans ce body suit,
graphique et audacieux, jouant
sans fausse pudeur avec une
impression de nudité, elle est montée sur
la scène des Victoires, entourée de 29 figu-
rants qui, comme elle, ne correspondent pas
aux canons de beauté, désormais obsolètes.
En quelques minutes très fortes en émotion,
Yseult rappelle combien les corps sont poli-
tiques, combien ils ont de choses à dire, sur
eux-mêmes et sur les autres.
Dans le blazer crème élégant et dessiné pour
elle par Casey, la chanteuse venue recevoir
son trophée de révélation féminine laisse voir
une autre facette : celle de la femme engagée ,
lucide, promise à bien d’autres victoires, avec
ou sans majuscule. « Les codes, je n’ai même
plus envie de les casser, conclut-elle. Il y aura
toujours des cases, il y aura toujours des
codes. Moi, j’ai juste envie de créer mon
propre chemin. » Dan Nisand

Profil
1994
Naissance
dans l’Aisne. Elle
apprend à lire
en déchiffrant des
paroles de chansons.
Son père, musicien,
lui défend d’en
faire son métier.
2013
Yseult passe les
auditions de « Nouvelle
star » et ne s’incline
qu’en finale.
2015
L’album « Yseult »
est un échec. Elle vit
de petits boulots
et déprime en secret.
2019
Elle se lance en
indépendante et publie
un premier EP, « Noir ».
2020
Son clip
« Corps » cartonne
(plus de 5,6 millions
de vues à ce jour).
Nouvel EP, « Brut ».
2021
Sacrée révélation
féminine de l’année,
aux Victoires
de la musique.

En 2020, elle est l’égérie
du 35 e Festival international
de mode d’Hyères.

« J’ai pris mes distances avec les
inJonctions “body positive”.
dire aux gens qu’ils doivent s’aimer
à tout prix, ça ne les aide pas »
ys e u l t

Un marché
de taille
Les créateurs
pourront-ils encore
ignorer dans leurs
boutiques ces filles aux
formes généreuses?
Le site 11Honore.com
a convaincu
des designers en vue


  • Altuzarra, Ganni,
    Dolce & Gabbana,
    Roland Mouret,
    Christopher Kane –
    de produire des
    vêtements grandes
    tailles (jusqu’au 54).
    Résultat Une
    e-boutique très chic
    où la mode est vraiment
    pour toutes.


En coulisses,
aux Victoires
de la musique.

PariS match du 25 février au 3 mars 2021


ViVre

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