part 2. 1916–1930: dada and the heroic period of surrealism
Nuits partagées (extraits)
Je m’obstine à mêler des fictions aux redoutables réalités. Maisons inhabitées,
je vous ai peuplées de femmes exceptionnelles, ni grasses, ni maigres, ni blondes,
ni brunes, ni folles, ni sages, peu importe, de femmes plus séduisantes que
possibles par un détail. Objets inutiles, même la sottise qui procéda à votre
fabrication me fut une source d’enchantements. Etres indi√érents, je vous ai
souvent écoutés, comme on écoute le bruit des vagues et le bruit des machines
d’un bateau, en attendant délicieusement le mal de mer. J’ai pris l’habitude des
images les plus inhabituelles. Je les ai vues où elles n’étaient pas. Je les ai méca-
nisées comme mes levers et mes couchers. Les places, comme des bulles de savon,
ont été soumises au gonflement de mes joues, les rues à mes pieds l’un devant
l’autre et l’autre passe devant l’un, devant deux et fait le total, les femmes ne se
déplaçaient plus que couchées, leur corsage ouvert représentant le soleil. La
raison, la tête haute, son carcan d’indi√érence, lanterne à tête de fourmi, la
raison, pauvre mât de fortune pour un homme a√olé, le mât de fortune du
bateau... voir plus haut.
Pour me trouver des raisons de vivre, j’ai tenté de détruire mes raisons de
t’aimer. Pour me trouver des raisons de t’aimer, j’ai mal vécu.
D’un et de deux, de tous
Je suis le spectateur et l’acteur et l’auteur,
Je suis la femme et son mari et leur enfant,
Et le premier amour et le dernier amour,
Et le passant furtif et l’amour confondu.
Et de nouveau la femme et son lit et sa robe,
Et ses bras partagés et le travail de l’homme,
Et son plaisir en flèche et la houle femelle.
Simple et double, ma chair n’est jamais en exil.
Car, où commence un corps, je prends forme et conscience.
Et, même quand un corps se défait dans la mort,
Je gis en son creuset, j’épouse son tourment,
Son infamie honore et mon cœur et la vie.