The Yale Anthology of Twentieth-Century French Poetry

(WallPaper) #1

part 3. 1931–1945: prewar and war poetry


Une discussion, entre rabbins, s’engagea sur le sens qu’il fallait donner à cette
anecdote.
Reb Alphandery, en sa qualité de doyen, prit le premier la parole.
«Un double miroir, dit-il, nous sépare du Seigneur; de sorte qu’en cherchant à
nous voir, Dieu Se voit et que, cherchant à Le voir, nous ne voyons que notre
visage.
— L’apparence n’est-elle que le reflet de l’objet qu’un jeu de miroirs nous
renvoie? demanda Reb Éphraïm. Tu fais, sans doute, allusion à l’âme, Reb Al-
phandery, dans laquelle nous nous mirons. Mais le corps est le lieu de l’âme,
comme la montagne est le lit de la source. Le corps a brisé le miroir.
— La source, reprit Reb Alphandery, dort sur la cime. Le rêve de la source,
comme elle, est d’eau. Il coule pour nous. Nos songes nous prolongent.
Ne te souviens-tu pas de cette phrase de Reb Alsem : «Nous vivons le rêve de
la création qui est le rêve de Dieu; au soir, nos songes viennent s’y blottir, comme
des moineaux dans le nid.»
Et Reb Hames n’a-t-il pas écrit : «Oiseaux de nuit, mes songes explorent
l’immense songe de l’univers endormi.»?
— Le rêve est-il le limpide discours des facettes d’un bloc de cristal, reprit Reb
Éphraïm? Le monde est de verre, on le devine à sa brillance, la nuit ou le jour.
— La terre tourne dans un miroir. La terre tourne dans un mouchoir, répondit
Reb Alphandery.
— Le mouchoir du dandy à la vilaine cicatrice, dit Reb Éphraïm.


(«La parole est dans le sou∆e, comme la terre est
dans le temps.»
Reb Mares.)

Et Yukel dit:

Le baluchon du Juif errant contient la terre et plus d’une étoile.

«Ce qui contient est soi-même contenu», disait Reb Mawas.
L’histoire que je vous ai contée, comme les commentaires qu’elle inspira
seront consignés dans le livre du regard. L’échelle nous presse de nous dépasser.
Là est son importance. Mais, dans le néant, où la poser?


(«Dieu est sculpté.»
Reb Moyal.)
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