The Yale Anthology of Twentieth-Century French Poetry

(WallPaper) #1

part 3. 1931–1945: prewar and war poetry


paranoïde (elle rappelle des figures de Salvador Dali), mais qui prend des propor-
tions gigantesques dès qu’elle a franchi la porte, et elle remplit la salle jusqu’au
plafond. Construction amorphe, elle se termine en un endroit en soulier de
dame; la construction marche sur le soulier qui se trouve à un bout et sur la
pointe de quelque chose comme un nez. Je dis à l’homme avec qui je suis couchée
que je ne l’aime plus. Il dit: Alors prends-toi un de ces Grecs! Je me lève, je vais
jusqu’au mur, et je tire la jambe d’un des jeunes hommes en marbre. Il des-
cend du mur. Nous partons ensemble, nous nous promenons dans un paysage.
L’homme près duquel je marche devient subitement mon père. Nous marchons
côte à côte sur un plateau. Plus bas, sur les pentes poussent des sapins dont on ne
voit pourtant que les faîtes. Mon père montre un groupe de ces sommets de
sapins (sur le versant sud) qui sont fortement agités et dit: «C’est là-bas que j’ai
connu ta mère.» Je dis: «Là-bas est mon meurtrier!»
Je descends la pente, je crois qu’il s’agit maintenant du versant nord, jusqu’au
pied de ces sapins. Là est assis, appuyé à un tronc, un homme sur le retour d’âge,
vêtu sportivement, avec une veste de tweed de couleur rouille, les cheveux gris et
courts. Il dirige un couteau vers moi. De l’extrémité de l’index d’une main je
touche la pointe du couteau, de l’autre index l’extrémité de la poignée, je re-
tourne le couteau et m’apprête à poignarder cet homme quand mon père, à côté
de moi, dit: «Ça ne se fait pas.» Sur quoi je donne un coup à l’homme, si bien
qu’il dévale la pente. Il roule sur lui-même tout en se touchant le front avec
l’index et il a l’air du serpent Ouroboros qui se mord la queue.

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