The Yale Anthology of Twentieth-Century French Poetry

(WallPaper) #1

part 4. 1946–1966: the death of andré breton, the beginning of l’éphémère


Il m’est interdit


Il m’est interdit de m’arrêter pour voir. Comme si j’étais condamné à voir en
marchant. En parlant. A voir ce dont je parle et à parler justement parce que je ne
vois pas. Donc à donner à voir ce que je ne vois pas, ce qu’il m’est interdit de voir.
Et que le langage en se déployant heurte et découvre. La cécité signifie l’obligation
d’inverser les termes et de poser la marche, la parole, avant le regard. Marcher
dans la nuit, parler sous la rumeur, pour que le rayon du jour naissant fuse et
réplique à mon pas, désigne la branche, et détache le fruit.


Quand il est impossible


Quand il est impossible d’écrire un mot, de faire tenir debout une brique sur
la mer. De coucher sur la table un copeau d’amour de la langue...
Tout commence.
L’impossibilité d’écrire se fend, se découple. D’écrire ce qui n’a pas encore été
écrit, ce qui l’a toujours été, dans la trame et le sou∆e d’un seul. Dans l’attente et
la surdité de tous. Et de personne...


Ecrivant sans écrire, je suis moins attablé qu’attelé, que garrotté à cette longue
planche de châtaignier qui bourgeonne, qui convoque les braises et les signes.
Qui m’humilie. Qui me chasse.


Dehors sou∆e un vent fort, et froid. Une buse, haut dans le ciel, vire et
s’immobilise. Je marche en boitant, j’écris en boitant. Par les collines, dans la rue,
dans le vide, je balbutie, je gri√onne les airs que me sou∆ent, ou me refusent, les
arbres et les gens, les nuages, les oiseaux, la lumière...

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