The Yale Anthology of Twentieth-Century French Poetry

(WallPaper) #1

part 5. 1967–1980: the explosion of the next generation


Des fêtes


Mes dents ont arraché des cubes de rire, des sorties d’école de rire, des
bouteilles de rire, des camions de rire, des parallélépipèdes de rire, des ascenseurs
de rire, des caisses de rire, des cônes de rire, des meules de rire, des valises de rire,
des coques de rire, des volières de rire, des boîtes de rire, des boules de rire, voilà
ce que mes dents ont arraché à la ficelle blanche du désespoir.
On ne rit d’ailleurs que pour manger le morceau d’espace qui nous manque.


Sous des fondrières gonflées de joie menaçante, les pieds des nomades dé-
chirent le papier de la marche, leurs cils lacèrent la cellophane de la vue, les clous
de leur attention crèvent le tympan para≈né des paroles. Les mots ne s’en-
voleront plus; ils sont empalés sur place.
Dans ces conditions, le feu au carton des caresses et les pièces du corps
détachées, détachables, glissant à califourchon sur les méridiens des instants
fuyards. Vos yeux s’éloignent à l’heure où les seins vont boire. Je cours sur la place
déserte de votre dos, mes os s’en vont en ricochets sur le miroir de vos muscles.
Debout et nus, parviendrons-nous à essayer jusqu’à l’épuisement les robes vertes,
sourdes, salées, les chapeaux terrifiants, mauves, gluants, victorieux, les gants
jaunes, matinaux, bleu-canard, sanglants, les cravates neigeuses, sinistres, or-
anges, grises, minuscules, bien frappées, les pantalons indigo, glacés, lilas, gal-
vaudés, sous les pelisses précieuses, blanches, tumescentes, sombres, souveraines
de notre complicité qui fait trembler d’inutilité première les agiles muqueuses
des mains?


Les seules fêtes sont souterraines comme le désespoir. On y joue à traquer la
balle folle de ce qui est et de ce qui n’est pas.


Les seules fêtes sont hasardeuses comme le désespoir. E√acent-elles totale-
ment l’histoire des grandes famines qui les ont précédées?


Les seules fêtes sont fatales comme le désespoir. Elles assoi√ent de vide;
mieux, elles sont un appel du vide.


Les seules fêtes sont évasives comme le désespoir. Elles flottent un court
instant au-dessus du toboggan des veines.


L’avenir ne partira pas en voyage.
Les fêtes comme le désespoir le mettent à mort. Car les fêtes vont aussi vite
que le désespoir.

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