The Yale Anthology of Twentieth-Century French Poetry

(WallPaper) #1

part 6. 1981–2002: young poetry at the end of the millennium


Que savons-nous de la fenêtre bleue par où la nuit montre tout à coup son
visage de faïence? Lorsque mourir cogne à la vitre, la chambre est un co√ret
odorant de bois clair.


Tête lourde, comme un oeuf saturé sur la paume, j’écris à coups de coeur des
mots somnambuliques. Ainsi des heures dans l’encre et la neige, des semaines de
fougères et de givre infusant au bol bleuté de la chambre.
Un peu d’eau noire dans l’oeil du monde, et l’envie de se laisser glisser sous
l’écorce du chant jusqu’à perdre l’idée de chair qui nous protège.


Mourir cisèle nos serrures et disperse des fleurs entre les digues, les baignades,
les reins cambrés et les lavandes lointaines, criant victoire de ses mains blanches
envoûtées de mouchoirs et de tumultes. Coque éblouie sous le gréement!


Ainsi résonne le coeur engorgé d’amour trouble qui bat sous la chemise de
chair, tandis que le tilleul éclôt devant la fenêtre, recoloré comme un bateau neuf
après une semaine de soleil et de bourrasques.
Un grand pavois de feuilles si∆e dans les haubans!


2

Je rêve d’un poème en pluie sur les corolles, fécondant de ses étamines d’or
une inflorescence de coeurs étoilés, faisant éclore d’autres planètes odorantes et
soyeuses. Je marche dans le pré aviné sous l’averse parmi des fumées peintes.
Les pétales d’encre ont le goût de l’âme après l’amour.


Tandis que le printemps s’exclame, je vais sur la neige au fond du monde,
frôlant le coeur fissible au plus bas de l’oeil et de l’os. L’encre alors cristallise et
chante, blanche sonore de sel et d’acide entre les lèvres vitrifiantes de l’angoisse.


Toutes joies dévalées d’un trait, la mort abonde dans le sens de naître. Nous
attendons dans le silence, paumes tièdes et bras ballants, ainsi que la jeune femme
au bord du lit, le coeur en équilibre dans la nacelle de chair.


Bientôt un autre se relève, tirant les mailles du linceul, saluant la patience des
dieux et la mer traversée de pollens. Des mots en ombelle lui couvrent le front.


3

Le bleu du ciel élance des oiseaux. D’impossibles semailles de chair et des voix
inouïes. L’arbre a repris son sou∆e. Peau tiède, tissu doux, infusion verte du
corps rêvé.
Dans l’âme épaisse de l’herbe, écrire naît à son chant.

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