The Yale Anthology of Twentieth-Century French Poetry

(WallPaper) #1

part 1. 1897–1915: symbolism, post-symbolism, cubism, simultanism


Tristesse de l’eau


Il est une conception dans la joie, je le veux, il est une vision dans le rire. Mais
ce mélange de béatitude et d’amertume que comporte l’acte de la création, pour
que tu le comprennes, ami, à cette heure où s’ouvre une sombre saison, je
t’expliquerai la tristesse de l’eau.
Du ciel choit ou de la paupière déborde une larme identique.
Ne pense point de ta mélancolie accuser la nuée, ni ce voile de l’averse ob-
scure. Ferme les yeux, écoute! la pluie tombe.
Ni la monotonie de ce bruit assidu ne su≈t à l’explication.
C’est l’ennui d’un deuil qui porte en lui-même sa cause, c’est l’embesogne-
ment de l’amour, c’est la peine dans le travail. Les cieux pleurent sur la terre qu’ils
fécondent. Et ce n’est point surtout l’automne et la chute future du fruit dont
elles nourrissent la graine qui tire ces larmes de la nue hivernale. La douleur est
l’été et dans la fleur de la vie l’épanouissement de la mort.
Au moment que s’achève cette heure qui précède Midi, comme je descends
dans ce vallon qu’emplit la rumeur de fontaines diverses, je m’arrête ravi par le
chagrin. Que ces eaux sont copieuses! et si les larmes comme le sang ont en nous
une source perpétuelle, l’oreille à ce chœur liquide de voix abondantes ou grêles,
qu’il est rafraîchissant d’y assortir toutes les nuances de sa peine! Il n’est passion
qui ne puisse vous emprunter ses larmes, fontaines! et bien qu’à la mienne su≈se
l’éclat de cette goutte unique qui de très haut dans la vasque s’abat sur l’image de
la lune, je n’aurai pas en vain pour maints après-midi appris à connaître ta
retraite, val chagrin.
Me voici dans la plaine. Au seuil de cette cabane où, dans l’obscurité inté-
rieure, luit le cierge allumé pour quelque fête rustique, un homme assis tient dans
sa main une cymbale poussiéreuse. Il pleut immensément; et j’entends seul, au
milieu de la solitude mouillée, un cri d’oie.

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