J’ai un mauvais pressentiment sur cette réunion.
vraiment influencer la situation », a
lancé le président de la commission des
Affaires étrangères russe, Leonid Sloutski.
« Le Vatican, combien de divisions? » de-
mandait Staline en 1935 au ministre fran-
çais des Affaires étrangères, Pierre Laval,
qui s’inquiétait – déjà – des exactions de
Moscou en Ukraine et préconisait une
alliance entre la France, la Grande-Bre-
tagne et l’URSS sous l’égide du pape. Mais
le dictateur soviétique n’avait que mé-
pris pour l’autorité morale du chef de
l’Église catholique. Il ne croyait qu’à la
brutalité des rapports de force. Poutine
partage cette conception crue des rela-
tions internationales. « L’UE, combien de
divisions? » pourrait-il dire aujourd’hui.
Et il aurait raison. L’Union manque tou-
jours du hard power nécessaire pour de-
venir ce que le général de Gaulle appelait
une « Europe européenne », capable de
prendre en charge sa défense militaire
sans se reposer entièrement sur la garan-
tie américaine.
Le président Biden, un atlantiste, a un
préjugé favorable envers l’UE, à l’inverse
de son prédécesseur, Trump, qui la ju-
geait « probablement aussi néfaste que la
Chine, juste plus petite ». Mais, vue de Wash-
ington, elle est un nain géopolitique. Elle
le restera tant que les Européens n’auront
pas compris qu’ils ont des intérêts com-
muns et qu’ils doivent les défendre col-
lectivement. Leur sécurité et leur
prospérité en dépendent, plus que jamais.
Une évolution capitale serait l’aboli-
tion de la règle si paralysante de l’unani-
mité en politique étrangère, au profit de
la prise de décision à la majorité quali-
fiée. « 2022 doit être l’année d’un tournant
européen », a dit Emmanuel Macron. On
aimerait le croire. Les derniers épisodes,
cependant, ont prouvé qu’il y avait en-
core loin entre l’ambition d’une « souve-
raineté stratégique » et la réalité d’une
Europe pusillanime, qui n’ose pas croire
en sa propre puissance §
L
’adoption du pass vaccinal ravive
des critiques déjà connues contre
la politique sanitaire du gouverne-
ment. Le député européen François-Xavier
Bellamy estime, par exemple, que « ce qui
disparaît, c’est une règle essentielle pour l’État
de droit [...] : nul ne peut être contraint de faire
ce que la loi n’ordonne pas. Avec le pass vac-
cinal, le gouvernement tombe dans une contra-
diction désastreuse pour les libertés pu-
bliques, l’égalité en droit et l’amitié civique ».
Pour le journaliste de Libération Jean
Quatremer, « le pass vaccinal [...], c’est exac-
tement la même chose que le crédit social à la
chinoise ». Plus largement, depuis le dé-
but de cette pandémie et plus encore de-
puis l’introduction du pass sanitaire, les
défenseurs de la liberté ne cessent de vi-
lipender une politique publique suppo-
sément attentatoire à celle-ci. Leur argu-
ment est le suivant : si le rôle de l’État
consiste à protéger le citoyen contre un
danger extérieur, il doit s’abstenir de le
faire dès lors qu’il s’agit de sauvegarder
l’individu contre lui-même. Dans la me-
sure où les instruments de lutte contre
le Covid-19 sont disponibles et efficaces,
les gestes barrières et la vaccination de-
viennent davantage une affaire de res-
ponsabilité individuelle que collective.
Cet argument est fidèle à l’essence du
libéralisme, qui considère que la seule li-
mite aux choix individuels est le dom-
mage causé à autrui. Pour emprunter les
termes du philosophe anglais John Stuart
Mill dans De la liberté, « la seule raison lé-
gitime que puisse avoir une société pour user
de la force contre un de ses membres est de
l’empêcher de nuire aux autres. Contraindre
quiconque pour son propre bien, physique ou
moral, ne constitue pas une justification suf-
fisante ». Les débats sur la portée de la
« nuisance » invoquée par Mill ont été
nombreux, car tout dépend du
Une évolution capitale
serait l’abolition de
la règle si paralysante
de l’unanimité en
politique étrangère.
Selon les principes libéraux,
l’État doit s’abstenir de
protéger l’individu contre
lui-même. En cas
d’épidémie, ils atteignent
leurs limites.
Comment la
pandémie met
le libéralisme
à l’épreuve
par Laetitia
Strauch-Bonart
12 | 6 janvier 2022 | Le Point 2578
ÉDITORIAUX
ILLUSTRATION : TARTRAIS POUR «LE POINT»
...
...