le programme nucléaire mi-
litaire du pays. Grillée par sa mis-
sion, amère d’avoir été manipulée,
Cheryl Bentov obtint du Mossad
une compensation financière et
repartit aux États-Unis, où elle vit
toujours. L’histoire des femmes du
Mossad a ses côtés sombres. Mar-
celle Ninio, démasquée au Caire,
fut arrêtée et torturée, tenta de se
suicider et passa plus de treize ans
dans les geôles égyptiennes. Syl-
via Rafael, après quelques opéra-
tions héroïques, participa en 1973
à la pire bavure du service : l’assas-
sinat d’un serveur marocain en
Norvège, pris par erreur pour un
terroriste palestinien. Plusieurs
autres agentes, dont les actions
restent couvertes par le secret, ont
payé un lourd tribut pour leur au-
dace : la torture, la prison et, par-
fois, la mort §
EXTRAITS
Erika, Beyrouth, 1979
Erika n’avait pas quitté des yeux
l’immeuble d’en face depuis
10 heures du matin. Ce jour-là, une
légère bruine avait assaini l’air, et
la visibilité s’était améliorée. Erika
attendit près de six heures avant
le retour de Salameh [Ali Hassan
Salameh dit « le prince rouge », un
des chefs de l’organisation terro-
riste palestinienne Septembre
noir]. Djamil, son chauffeur, fit dé-
marrer la voiture. Les gardes du
corps grimpèrent dans la Land
Rover et la Toyota, et les trois vé-
hicules reprirent la route.
Erika tenait dans ses mains un
modèle spécial de télécommande,
un petit poste de radio qu’elle avait
rapporté d’Israël. C’était une radio
normale, sauf qu’en introduisant
une pointe de métal dans un petit
orifice situé sur le côté, elle deve-
nait un système de déclenchement.
Et quand on appuyait sur le bou-
ton rouge qui servait autrement à
allumer ou à éteindre la radio,
celui-ci devenait une puissante
télécommande.
Et soudain, problème : un ca-
mion chargé de bonbonnes de gaz
s’arrêta près de chez elle. Erika
comprit qu’elle allait peut-être de-
voir arrêter la mission. Si la charge
explosait alors que le camion était
dans les environs, les bonbonnes
exploseraient à leur tour et tue-
raient des centaines de personnes.
Erika pria Dieu pour que le camion
s’en aille. Et sa prière fut exaucée.
La dernière pensée d’Erika avant
que la voiture de Salameh passe
devant elle fut de déterminer com-
ment faire face à la situation.
— Je dois tuer un homme, se
dit-elle. Il s’agit d’une cible, un
point c’est tout. Mes actions
doivent être dénuées de haine ou
de tout sentiment personnel.
Elle vit la Chevrolet approcher
dans la rue. La circulation était ré-
duite. Moins de 9 mètres séparaient
à présent le break de Salameh de
la Volkswagen piégée, coincée
entre d’autres véhicules en station-
nement, puis 5, 4, 3, 2. Elle plaqua
son visage contre la vitre de la fe-
nêtre et ouvrit grand la bouche
pour se protéger de l’onde de choc.
La Chevrolet passa devant les
voitures en stationnement et
avança doucement vers la Volks-
wagen. Erika appuya sur le bou-
ton rouge.
Une gigantesque explosion
ébranla la rue Madame-Curie. (...)
De ce qu’il restait des morceaux dé-
formés de la Chevrolet, les secours
parvinrent à extraire trois corps :
le chauffeur et les deux gardes du
corps. Ali Salameh souffrait quant
à lui d’une plaie ouverte à la tête,
un morceau de fer lui ayant trans-
percé le cerveau. Une ambulance
le transporta à l’hôpital universi-
taire américain.
La mission eut aussi un résultat
malheureux et douloureux : quatre
passants furent tués et dix-huit bles-
sés. Tous étaient d’innocentes vic-
times de l’explosion. Parmi elles
figurait une jeune femme qu’Erika
avait croisée à différentes reprises
dans le quartier. Son visage et la
douleur de sa famille ne cesseraient
de la hanter. (...)
Les éclats reçus à la tête furent
la cause de la mort de Salameh. En
« Les Amazones
du Mossad. Au cœur
des services secrets
israéliens », de Michel
Bar-Zohar et Nissim
Mishal (Saint-Simon,
400 p., 22,99 €).
Cible. Beyrouth, janvier
1979, le dirigeant
palestinien Ali Hassan
Salameh est assassiné
dans un attentat à la
voiture piégée auquel
participe l’agente Erika.
« Je dois tuer un homme,
se dit-elle. Il s’agit d’une cible,
un point c’est tout. »
...
46 | 6 janvier 2022 | Le Point 2578
AS SAFIR/AP/SIPA
MONDE