de Roth schild et ses filles
partagent la propriété de la hol-
ding familiale avec la demi-sœur
du défunt, Camillia, dont Benja-
min avait découvert l’existence au
décès de son père, ainsi qu’avec la
mère du défunt, Nadine de
Rothschild. Mais les héritières de
Benjamin sont largement majori-
taires en droits de vote. Présidente
de la holding familiale, la veuve
s’occupe de « la stratégie, de l’accom-
pagnement et de la surveillance des
différentes activités ». Les différentes
activités... Des mots bien faibles
pour décrire un empire... Il y a la
pépite, évidemment, la banque
privée Edmond de Roth schild, qui
gère 162 milliards d’euros de
fonds et dont la famille est pro-
priétaire à 100 %. Derrière ce fleu-
ron se déploient les joyaux d’un
somptueux diadème.
Vin, fromage, parfum... Il y
a un portefeuille immobilier gi-
gantesque, dont un hôtel particu-
lier à Paris, dans la très exclusive
rue de l’Élysée, qui longe le palais
de la République ; il y a l’immense
domaine sauvage des Trente Ar-
pents, en Seine-et-Marne, où cerfs
et bisons vivent en liberté, et où
une fromagerie produit, grâce à
un cheptel de vaches laitières, un
incroyable brie de Meaux fermier ;
il y a une concession de chasse
dans la réserve de Niassa, au Mo-
zambique ; il y a des vignobles sur
plusieurs continents (de la Nou-
velle-Zélande à l’Espagne, en pas-
sant par l’Afrique du Sud et la
France) ; il y a des chalets, des res-
taurants et un hôtel de luxe Four
Seasons au cœur du domaine du
mont d’Arbois, à Megève, station
de ski « inventée » par Noémie de
Rothschild, la grand-mère de Ben-
jamin ; il y a la maison de parfums
Caron, la collection de 300 voitures
anciennes ainsi que celle de fusils
et de carabines, constituées par
Benjamin, les pépinières de
l’Ambre, l’armurerie Ernest Mayor,
à Genève... Un patrimoine évalué
à 4,8 milliards d’euros par le ma-
gazine Challenges.
Longtemps, Ariane Langner,
qui a épousé l’héritier en 1999,
alors qu’elle était enceinte de leur
deuxième fille, s’est tenue éloignée
des affaires familiales. Noémie,
Alice, Ève et Olivia étaient trop pe-
tites, et puis, c’est la ligne de
conduite chez les Rothschild... Que
l’inénarrable baronne Nadine, la
belle-mère d’Ariane, s’est appli-
quée à suivre toute sa vie. L’an-
cienne actrice – célèbre pour ses
manuels de savoir-vivre et son in-
vention d’« une indispensable pince
à moules et frites » pour éviter d’im-
prégner ses mains d’une odeur
trop prégnante – passait à l’impro-
viste dans les bureaux parisiens
de la banque, rue du Fau-
bourg-Saint-Honoré, pour jauger
la tenue vestimentaire des ban-
quiers. Elle n’hésitait pas à les ré-
primander gentiment sur la
couleur d’une cravate ou le repas-
sage d’une chemise... Sa contribu-
tion au destin de la banque qui
porte son nom se limite à cette re-
vue d’inspection. « Avec ma belle-
mère, nous sommes comme le jour et
la nuit », assure aujourd’hui
« l’autre » baronne, qui n’a plus de
contacts avec la grand-mère de ses
filles depuis bien longtemps. « Elle
a sa vision de l’univers Rothschild et
des rôles dévolus aux hommes et aux
femmes, qui est radicalement diffé-
rente de la mienne. L’idée qu’une
femme doit rester à sa place, c’est-à-
dire à la maison, m’est insupportable. »
La crise financière donne une
occasion en or à Ariane de Roth-
schild de sortir – une bonne fois
pour toutes – de son château ge-
nevois, de sa condition et de jouer
un rôle de premier plan au sein de
la haute bourgeoisie d’affaires. La
fin du secret bancaire suisse et le
durcissement de la réglementa-
tion contraignent la « compagnie
financière Edmond de Rothschild »
à repenser son modèle et à mener
une révolution interne. Cette der-
nière avait été imaginée comme
une fédération de banques privées
autonomes (en Suisse, au Luxem-
bourg, en France). Benjamin y avait
nommé des banquiers brillants et
charismatiques – Messulam, Otto,
Cicurel –, auxquels il laissait une
liberté totale. Une machine de
guerre à la réussite fulgurante : les
bénéfices – et les dividendes, qui
financent le train de vie luxueux
de l’héritier – explosent. Mais la
belle histoire ne résiste pas aux ré-
pliques du tremblement de terre
financier de 2008. D’autant que
l’indépendance des établissements
a ses limites. Ils finissent par en-
trer en concurrence les uns avec
les autres, les systèmes informa-
tiques ne sont pas compatibles, les
clients sont perdus... Benjamin de
Rothschild veut mettre les finan-
ciers « stars » au pas et sa banque
au carré. L’objectif : créer un groupe
et une marque unique. Mais il est
bien incapable et peu désireux de
se mettre à la tâche. En 2015, son
épouse devient présidente du co-
mité exécutif de la banque. À la
surprise générale... « Je n’avais pas
encore commencé qu’on doutait de ma
capacité. En tant que “femme de”, j’ai
supporté beaucoup de choses pendant
des années », dit-elle.
Ceux qui l’ont prise pour une
« blonde » ou qui n’ont vu dans sa
nomination qu’un opportun coup
« Je m’entoure de collaborateurs qui ont
le même niveau d’énergie que moi.
Des tempéraments forts. » Ariane de Rothschild
Alter ego. Benjamin
de Rothschild et son
épouse, Ariane, dans
leur hôtel particulier
de la rue de l’Élysée,
à Paris, en 2014.
Qui possède
quoi?
La mère et la demi-
sœur du défunt
- Nadine de
Rothschild, âgée de
89 ans, et Camillia,
39 ans – possèdent
chacune 17 % des
parts de la holding
familiale. Le reste du
capital, soit 66 %, est
détenu par Ariane
de Rothschild et ses
quatre filles, âgées
aujourd’hui de 19 à
26 ans. À elles cinq,
elles détiennent
plus de 80 % des
droits de vote.
ÉCONOMIE
56 | 6 janvier 2022 | Le Point 2578
ELODIE GREGOIRE/REA
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