Le Point - FRA (2022-01-06)

(EriveltonMoraes) #1
dans les années 1970 », confirme Hyacinthe Ravet,
chercheuse à l’Institut de recherche en musicolo-
gie, qui mène depuis 2019 une vaste enquête (le
projet Prodige) sur les processus de recrutement
et les discriminations de genre sur l’ensemble des
orchestres permanents en France.
À l’Orchestre philharmonique de New York,
l’un des premiers à avoir adopté les paravents
outre-Atlantique, le nombre de femmes est actuel-
lement de 50 %. Mais, comme le relevait en juillet
2020 le critique musical du New York Times An-
thony Tommasini, le « Phil » ne compte toujours,
sur 106 musiciens, qu’un artiste noir, le clarinet-
tiste Anthony McGill... D’ailleurs, selon un rap-
port publié en 2016 par la League of American
Orchestras, les Noirs ne représentent aux États-
Unis que 1,8 % des membres des meilleurs or-
chestres, et les Latino-Américains seulement 2,5 %.
C’est là le saisissant bilan que permettent de dres-
ser aujourd’hui quarante ans d’usage de cet outil
antidiscrimination à peu près parfait : l’effet sur
le recrutement des femmes est immédiat, il est nul
sur l’émergence d’instrumentistes issus, comme
on dit désormais, « de la diversité ». Un fait social,
et non racial, dont l’explication est à chercher dans
les racines culturellement plutôt élitistes de la pra-
tique de la musique classique.

Racialistes. Dans le rapport sur la diversité à
l’Opéra de Paris, remis en janvier 2021 à son direc-
teur Alexander Neef, les deux auteurs, Pap Ndiaye
et Constance Rivière, l’écrivent on ne peut plus net-
tement : « Il n’y a pas, ou pratiquement pas de musi-
ciens français issus de la diversité qui se présentent aux
concours de l’orchestre. » C’est donc en amont que la
question se pose, et qu’un changement peut s’opé-
rer. Par l’ouverture des conservatoires à des franges
de la société qui n’envisagent pas, a priori, la pra-
tique d’un instrument de musique. Ou par des col-
laborations étroites de formations orchestrales avec
l’Éducation nationale, ce qu’a lancé en 2010 la Phil-
harmonie de Paris avec son formidable Dispositif
d’éducation musicale et orchestrale à vocation so-
ciale – les orchestres Démos – ou ce qu’a mis en
place à Pau le chef d’orchestre Faycal Karoui avec
son orchestre d’enfants des quartiers El Camino.
Pourtant, partout, depuis deux ans, des sirènes ra-
cialistes s’élèvent pour incriminer les fameux pa-
ravents et au fond réclamer, fût-elle positive, le
retour d’une discrimination assumée... Au Royaume-
Uni, c’est l’English Touring Orchestra qui, en sep-
tembre dernier, se sépare de quatorze de ses
musiciens blancs au motif clairement explicité
qu’il est temps d’embaucher des instrumentistes
de couleur. Au même moment, aux États-Unis, c’est
l’Orchestre philharmonique de Buffalo qui fait pa-
raître une annonce pour recruter son chef assis-
tant en spécifiant que les candidats devront être
« membres de groupes historiquement sous- représentés
dans les orchestres américains y compris, mais sans s’y

limiter, les Afro-Américains, Hispaniques, Amérindiens,
natifs d’Alaska, autochtones de descendance hawaïenne
ou insulaire du Pacifique »... Quant à Anthony Tom-
masini, le vénérable critique du New York Times, il
réclamait déjà, dans une virulente tribune publiée
à l’été 2020, que soient supprimés les fameux pa-
ravents pour que soient délibérément poussés, sur
les scènes des plus grands orchestres, des artistes
de couleur. Qu’importe si, invisibles, ces candidats,
uniquement jugés sur leur talent, n’auraient peut-
être pas été sélectionnés : la régression raciste est
saisissante... « Le paravent n’est pas une solution en
soi, il n’aura d’effets sur le recrutement de musiciens is-
sus de la diversité que si un effort est fait du côté de la
formation, et ce sera long », admet Laurent Bayle, an-
cien directeur de la Philharmonie de Paris. « Mais
il est sans aucun doute un outil qui a fait ses preuves »...
Et à ceux qui regrettent que ces maudites tentures
ou panneaux de bois absorbent une partie du son
produit par les candidats, Marie Linden, directrice
de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, fait
cette réponse limpide : « Un bon musicien sait, tou-
jours, faire entendre qu’il a du talent »... §

« Le paravent n’est pas une


solution en soi, mais un outil


qui a fait ses preuves. »
Laurent Bayle, ancien directeur
de la Philharmonie de Paris.

Le Point 2578 | 6 janvier 2022 | 67

WILLIAM BEAUCARDET/SP

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