Gilles Lellouche,
si fort, si fragile
PAR JEAN-LUC WACHTHAUSENP
ar un bel après-midi hivernal, Gilles Lellouche
donne rendez-vous à la terrasse d’un café de
l’île Saint-Louis, face à la Seine. C’est là qu’il
a rencontré Mathieu Amalric pour lui confier le
scénario du Grand Bain (2018), son deuxième film
comme réalisateur – gros succès public après
l’échec de son premier, Narco, en 2004. « Personne
ne prenait au sérieux cette histoire de types cabossés
qui se retrouvent à faire de la nage synchronisée, se
souvient-il, amusé. Moi, j’y croyais parce que je sen-
tais cette espèce de douce mélancolie, de légère dépres-
sion gagner les Français. Il se passait quelque chose.Avec « Adieu Monsieur
Haff mann », l’acteur
continue à démontrer qu’il
est devenu un très grand.
Collabo. Blanche
(Sara Giraudeau)
regarde se transformer
son mari, François
Mercier (Gilles
Lellouche), un homme
simple, en salaud.Mais c’était avant. Aujourd’hui, j’ai l’impression que
les gens se détestent, c’est l’enfer! » Assis devant un
café serré, l’homme déborde d’énergie et parle vite
comme si ses pensées dépassaient ses mots. À bien-
tôt 50 ans, c’est une force qui va tout droit, visage
carré, regard direct. Pourtant, il se dit timide, bos-
seur, pas sûr de lui. Les producteurs se le disputent,
il a le vent en poupe, mais garde la tête froide de
ceux qui ont parcouru un long chemin. Enthou-
siaste, passionné, tout à la fois fort et fragile.
À peine quitté son tee-shirt usé de flic accusé
de corruption dans Bac Nord, le brûlot de Cédric
Jimenez (plus de 2 millions d’entrées) sur la vio-
lence dans les quartiers nord de Marseille, il enfile
la blouse grise d’un modeste employé d’une joail-
lerie parisienne dont le patron juif lui a laissé les
clefs pour échapper à la traque des Allemands pen-
dant l’Occupation. Dans Adieu Monsieur Haffmann,
drame librement adapté de la pièce à succès de
Jean-Philippe Daguerre (4 molières en 2018), Gilles
Lellouche donne la réplique à Daniel Auteuil et àCULTURE CINÉMA
68 | 6 janvier 2022 | Le Point 2578JULIEN PANIÉ