Sara Giraudeau sous la direction de Fred Cavayé,
avec lequel il a déjà tourné trois films (À bout por-
tant, Mea culpa, et un épisode des Infidèles). « Mettre
face à face deux grands comédiens, souligne ce der-
nier, donne une belle épaisseur dramatique à cette his-
toire où l’on voit un homme ordinaire se transformer
en salaud, en collabo, trahissant la confiance de son pa-
tron. Avec un tel personnage, bon mari mais ambigu
et cupide, Gilles Lellouche travaille en profondeur. »
Un rôle à contre-emploi que l’acteur a accepté
sans hésiter parce qu’il « est riche, complexe et sus-
cite beaucoup de questions sur une période trouble de
notre histoire ». Depuis ses débuts, il a tout joué, pris
d’une belle fringale de tourner, des seconds rôles
ou d’autres plus marquants qu’il habite à sa façon :
physiquement. Le hasard d’une rencontre avec
Guillaume Canet sera le déclic – comme une fu-
sée à trois étages, trois films : Mon idole (2002), Ne
le dis à personne (2006) et Les Petits Mouchoirs (2010),
qui lui apportent la consécration (près de 5 mil-
lions et demi d’entrées). « Avec Guillaume, Marion
Cotillard, François Cluzet, Jean Dujardin, Benoît Ma-
gimel, on représentait une nouvelle génération qui émer-
geait, se souvient-il. On avait 37-38 ans, et on profitait
d’un énorme coup de projecteur. On était amis, mais on
ne formait pas vraiment une bande parce que chacun
menait sa vie d’artiste, qui est d’abord solitaire, même
si elle donne l’impression d’une vie de troupe. »
Pas de plan de carrière chez lui, mais une ques-
tion toute simple : « Est-ce un film que j’irais voir? »
Question d’instinct, de flair aussi. « Mon Dieu! jouer
avec Daniel Auteuil, je n’aurais jamais imaginé ça, il
y a vingt ans, lorsque j’ai débuté au Cours Florent! s’ex-
clame-t-il. Tout comme Gérard Depardieu, dont je re-
prends le personnage d’Obélix. Je n’ai jamais eu autant
la trouille en me répétant : suis-je légitime pour le faire,
n’est-ce pas prétentieux de lui succéder? »
Il est loin le temps où Gilles Lellouche – dont
le frère Philippe est au volant du magazine de
sport automobile Top Gear sur RMC Découverte,
et à l’affiche du nouveau film de Claude Lelouch,
L’amour c’est mieux que la vie –, faisait la pub du jeu
de grattage Banco, tournait ses premiers courts-mé-
trages et des clips pour Pascal Obispo et MC So-
laar – « une super école », dit-il. De son enfance à
Savigny-sur-Orge, entre une mère catholique
bretonne et un père juif d’Algérie, il garde un
souvenir heureux, prolongé par ses études
au lycée de Fontainebleau, où une profes-
seure de français lui fait jouer quelques scènes
Attitude. Excellent
dans les rôles comiques
ou testostéronés, Gilles
Lellouche a su enrichir
sa palette.
des Fourberies de Scapin et lui donne le virus de la
comédie. Ado timide, il rêve de cinéma, prend Star
Wars en pleine figure, se voit en De Niro. Pas ga-
gné. « Mes parents n’étaient pas, comment dire, des
intellectuels abonnés à Télérama ni à la Comédie-Fran-
çaise, plaisante-t-il, alors il fallait être sacrément naïf
et enthousiaste pour prétendre faire carrière dans ce
métier. En m’inscrivant en 1992 au Cours Florent, j’ai
rencontré des gens formidables, Léa Drucker, Laurent
Lafitte. C’était une époque géniale où j’ai appris mon
métier et aiguisé mes goûts. »
Comique de service. Il est catalogué comique
de service ou macho? Ce sont des femmes cinéastes
qui vont déceler chez lui un autre acteur, plus sen-
sible, fragile, plus humain, et changer son image.
Marie Gillain, la première, lui offre un rôle de tren-
tenaire en mal d’amour dans Ma vie n’est pas une
comédie romantique (2007), Mélanie Laurent lui
confie un rôle de père et le filme avec un bébé dans
les bras dans Plonger (2017), puis Jeanne Herry, la
fille de Miou-Miou et de Julien Clerc, le met en
scène dans Pupille (2017), un film sur l’adoption.
En ce moment, il écrit le scénario de L’Amour ouf,
son troisième film, avec Audrey Diwan, Lion d’or
2021 à Venise pour L’Événement, d’après le roman
éponyme de Neville Thompson, que lui a recom-
mandé Benoît Poelvoorde. « L’écriture est un moment
non pas laborieux mais méticuleux, lâche-t-il, mais ça
me fait du bien de me replonger dans les années 1980-
1990, celles de mon adolescence. Me faire un petit coup
de rappel par rapport aux temps sombres que nous vi-
vons, c’est une belle valeur refuge. »
Gilles Lellouche reconnaît qu’on vit une drôle
d’époque. La polémique sur Bac Nord, taxé de film
propolice ou récupéré par les hommes politiques,
l’a surpris. « Pas grave, insiste-t-il, mais être récupéré
par Marine Le Pen et Éric Zemmour, on aurait envie
d’avoir d’autres sponsors que ceux-là. » Un autre « truc »
l’agace. L’inquiète, même. La liberté d’expression
menacée par le politiquement correct. « Vous vous
rendez compte, s’énerve-t-il, que le cinéaste Terry
Gilliam, le roi de l’humour anglo-saxon avec
les Monty Python et auteur de films comme
Brazil, a été contraint d’annuler son spec-
tacle à Londres, parce qu’il avait dit qu’à
84 ans le mouvement #MeToo ne le concer-
nait pas et que le spectacle de Louis CK,
le roi du stand-up, était intéressant? Ce
n’était qu’un avis. Les artistes n’ont plus
le droit d’avoir un avis? Dommage qu’ils
se laissent faire. » Autant dire qu’un
film comme Les Infidèles, variations
coquines sur l’infidélité masculine
jouées avec son copain Jean Dujar-
din, serait impossible à tourner
aujourd’hui. « C’était déjà compliqué à
l’époque, remarque-t-il. Aujourd’hui, ce
serait l’enfer, on aurait des cocktails Molotov
dans les salles... » §
(((()
« Adieu
Monsieur
Haffmann »
Avec sa petite mous-
tache et sa blouse
grise, Gilles Lel-
louche n’a rien d’un
salaud ambigu et
cupide. Pourtant, il
le devient presque
malgré lui, sous
le regard incrédule
de sa femme (Sara
Giraudeau), trahis-
sant la confiance de
son patron juif (Da-
niel Auteuil), qui lui
a confié sa joaillerie
pour échapper aux
Allemands dans un
Paris occupé. Fred
Cavayé a choisi un
autre dénouement
que la pièce origi-
nale. On pense à
Au revoir les enfants.
Une tragédie
bouleversante.
En salle le 12 janvier.
Ce sont des femmes
cinéastes qui vont
déceler chez lui un autre
acteur, plus sensible,
et changer son image.
Le Point 2578 | 6 janvier 2022 | 69
VALERIE MACON/AFP