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L’Académie française.
Une candidature
Patrick Besson
M
oi, Arturo Emilio Sanchez de la Roya, na-
tif du Kalvador mais citoyen du monde,
je postule ce jour à l’Académie française.
Je n’ai écrit aucun de mes 47 romans en français,
mais je parle la langue de Molière et peux même
réciter des vers de Corneille comme « Ô rage! ô dé-
sespoir! » et ainsi de suite. J’ai appris le français
pendant ma jeunesse à la fois studieuse et tapa-
geuse au Quartier latin, où j’ai vécu la bohème
que chante votre auteur-compositeur M. Azna-
vour dont j’ai traduit plusieurs chansons à la
demande de notre grande chanteuse kalvado-
rienne Roberta Emilia Calzone de la Plata. Elle
compte, elle aussi, se présenter à l’Académie fran-
çaise, mais un peu plus tard que moi. Il y a le pro-
blème de l’âge : elle n’a que 89 ans et j’en ai déjà
- Elle aime, comme moi, beaucoup la France
et les Français, qui lui ont toujours réservé un
accueil chaleureux à l’Olympia en 1949, 1958,
1964, 1979, 1999 et 2007.
À mon âge vénérable mais encore actif, je res-
sens le vif besoin d’appartenir à une compagnie
prestigieuse à laquelle je suis conscient de pouvoir
apporter autant de choses qu’elle m’en apporte-
rait si vous, Mesdames, Messieurs, les académi-
ciennes et les académiciens de
grand talent et de fortes convic-
tions, choisissiez de m’élire parmi
vous. Le Kalvador est un joli pays
gouverné d’une main ferme, mais
judicieuse, par un président qui
est de mes amis et que le Tribunal
pénal international a inculpé par
erreur de crimes de guerre et de gé-
nocide. J’espère que cette injustice
notoire, dénoncée par l’ensemble
des journalistes kalvadoriens encore en liberté, ne
troublera pas l’esprit des académiciennes et des
académiciens que mon talent d’auteur et mon
soutien indéfectible aux grandes démocraties eu-
ropéennes telles que la Hongrie et la Pologne au-
ront décidé à voter pour moi. Le mot démocratie
- dont j’ai déjà prévu plusieurs définitions pour
votre prochain dictionnaire – est la clé de ma vie
et de mon œuvre comme elle l’est pour tous les
membres, qu’ils soient littéraires ou scientifiques,
de votre auguste cénacle. Oui, je suis un écrivain
kalvadorien, que d’aucuns qualifient de grand,
mettant à mal ma modestie, qui aura vu passer
et se détruire tant d’impostures de gauche, voire
cryptocommunistes, au XXe siècle sur son cher
continent. En revêtant ce prestigieux habit vert
de lumière, qui occupait déjà mon esprit dans la
pampa de mon enfance, je sentirai naître en moi
une force humanitaire et écologique propre à ren-
verser les dictatures populistes du monde entier.
Je serai à la hauteur de l’espoir que vous aurez
placé en moi. La France, c’est beaucoup plus que
la France et j’irai clamer cet axiome (« vérité évi-
dente de soi », dit votre – notre? – Littré) sur toute
la Terre pour votre plus grande gloire.
Je songe pour finir, Mesdames
et Messieurs les Immortelles et
Immortels, à ces écrivains français
ou francophones qui postulent,
comme moi, à un siège parmi
vous : je les remercie d’avance du
fair-play qu’ils auront envers un
homme qui n’a écrit aucun ou-
vrage en français mais qui porte
leur littérature dans son cœur gé-
néreux kalvadorien. Caramba! §
« À mon âge vénérable mais encore actif, je ressens le vif besoin
d’appartenir à une compagnie prestigieuse. »
Le Point 2578 | 6 janvier 2022 | 9
PHOTO12 VIA AFP