Le Point - FRA (2022-01-06)

(EriveltonMoraes) #1
ment de pouvoir, la division comme une nécessité, l’ini-
mitié comme un carburant. Les premiers partent de
l’individu, les seconds ne réfléchissent qu’en termes de
communauté, de genre, de race, mais avec le même esprit
réducteur. »

Séquelles
« Si Donald Trump, comme c’est fort probable, se repré-
sente en 2024, et même s’il y renonce finalement, on pourra
vérifier en temps réel à l’échelle nationale l’étendue des
ravages que la fin de sa présidence et ses prolongements
auront infligés à l’esprit des institutions : l’affaiblisse-
ment dramatique de la confiance spontanée dans les ins-
titutions politiques, l’extension légale de la défiance à
l’ensemble de la procédure du vote, une judiciarisation
massive des contestations électorales, des violences peut-
être et, partant, un système fédéral impuissant et perclus,
car privé du titre de légitimité primordial qui donne vie à
tout gouvernement légal : la sanction irréfutable, et com-
munément acceptée, du suffrage universel.
L’insurrection du 6 janvier, ses préludes et ses lende-
mains, ont réinstallé ainsi la hantise du complot au cœur
battant de la démocratie américaine et consacré le nau-
frage des conventions, celles que l’expérience institue en
lois non écrites et dont on n’interroge pas le bien-fondé,
qu’on observe par révérence ou par habitude, et qui per-
durent pour autant qu’elles suscitent l’obéissance volon-
taire. » §

de la théorie : celle d’une société livrée à une lutte perpé-
tuelle, guerre des droits et guerre des mémoires, où cha-
cun désigne à sa guise les dominants, les opprimés, les
“élites” de son choix, ainsi que leurs boucs émissaires de
prédilection. Ces principes armés sont enhardis par l’igno-
rance que les uns et les autres ont en partage de ce que fut
le totalitarisme et de ce qu’il put infliger pendant des dé-
cennies à des peuples privés de liberté. Affranchis des pe-
santeurs de la mémoire, ils s’en prennent de concert, par
des voies très différentes, à la tradition libérale qui fonde
la démocratie américaine, au contrat social lockéen, si
l’on veut, où les instincts individuels de compétitivité et
de coopération, les rivalités et les compromis, la diversité
des intérêts et les désaccords politiques produisent, telle
la main invisible d’Adam Smith, un équilibre satisfaisant,
et même de grandes réalisations, encadrées par les méca-
nismes et les sauvegardes de l’ordre constitutionnel. Aux
populistes et aux progressistes, cette tradition paraît non
seulement utopique, mais captieuse, puisqu’elle mécon-
naît les deux grands ressorts qui instruisent leur vision
de la société : la polarisation, la figure de l’ennemi. Ce qui
les assortit, par-delà tout ce qui les oppose, c’est une même
“conception politique à somme nulle”, selon le mot d’un
auteur américain : elle considère la vérité comme une
contingence instrumentale, les émotions comme une
cible stratégique, la culture du trust comme une chimère,
ou une faiblesse, le consentement démocratique comme
une futilité décorative, la légitimité comme un instru-

« Si Donald Trump


se représente en 2024,


on pourra vérifier en temps


réel l’étendue des ravages


de la fin de sa présidence. »


Apothéose. Le 6 janvier 2021 ne marque pas la défaite
de Donald Trump mais son apogée, lui qui n’a cessé d’attiser la
violence de ses partisans, dont les plus radicaux manifestent
ce jour-là devant la Maison-Blanche (à droite), quelques
heures avant l’assaut du Capitole (ci-dessus).

Le Point 2578 | 6 janvier 2022 | 95

MARK PETERSON/NYT-REDUX-REA (X2)

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