Poetry of Revolution: Romanticism and National Projects

(Sean Pound) #1

DEFAILLANCE


J’en vois tant dont la bouche est encor toute pleine
D’harmonie, cet qui n’ont que le doute et la haine
Dans un cœur qu’on dirait plein d’amour et de foi ;
J’en vois tant que ce doute implacable travaille,
Que je sens, par moments, ma ferveur qui défaille,
Et que je me surprends qui me demande à moi.


A quoi servent ces chants, malgré toute harmonie
Dont je les remplirais ; que soit le génie
Dont le souffle viendrait faire vibrer mon cœur?
A quoi servent ces chants, toutes ces strophes vaines
Dont, pour moi, chaque vers, est le sang de mes veines
Goutte à goutte tombant, trahissant ma douleur?


Ainsi, me voilà donc sous l’étreinte du doute ;
Tente de m’arrêter à moitié de la route,
Gémissant, le front bas, je me demande à moi
Si je peux jusqu’au bout aller sans défaillance,
Si nul instinct honteux ne soutient ma vaillance,
Et si mon livre même est une œuvre de foi.


Me voilà lentement obsédé d’un long rêve,
Interrogeant mon cœur, lui demandant sans trêve
S’il ne me berce en vain ; si, quelque jour, demain,
L’on ne me verra pas, chercher de gloire vile,
Agiter le drapeau de la guerre civile,
Et puis, sur mes autels, le planter, -- de ma main ;


Lui demandant, enfin, si quelque jour, moi-même
Qui parle de Justice, et consacre à ce thème
Ce que peut-être en moi j’ai de meilleurs accents,
Je n’irais pas aussi, fier, devant quelque traître,
Dont un sort rigoureux nous aurait fait un maître,
Fléchir mes deux genoux pour brûler mon encens.


Et mon cœur, soupirant, m’a répondu : J’ignore,
Car on m’a bien trompé ; car il n’est plus encore
De ces cœurs généreux qu’inspire leur dédain,
Dont la foi se complait au malheur qui cimente
Et qui savent toujours au fort de la tourmente
Fermer le gouffre énorme en s’y jetant soudain!

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