EUROPE
mené par André Ventura : Chega
y a obtenu 28,28 %. “Ici, comme
partout, on vote moins pour une
idéologie ou un parti que pour une
personne et pour des qualités per-
sonnelles. Mais je le reconnais, l’es-
sor de Chega est spectaculaire. D’où
ma réponse : qui sait ?” L’élu, pa r
ailleurs chauffeur de car scolaire,
en est à son deuxième mandat, et
à chaque fois le Parti socialiste a
remporté la majorité absolue. S’il
se représente une troisième fois, il
sait déjà que ce sera dans la poche.
Le canton d’Elvas, auquel appar-
tient São Vicente e Ventosa, est
une parfaite illustration de l’as-
cension fulgurante de Chega, le
nouveau phénomène du paysage
politique portugais – né en 2019,
ce parti se classe déjà troisième en
matière de suffrages, avec 7,2 %
soit 385 559 voix enregistrées
aux législatives, le 3 janvier der-
nier. Aux élections au Parlement,
—Jornal de Notícias
(extraits) Porto
U
n sourire s’esquisse sur
le visage de João Ricardo
Charruadas, la ques-
tion reste en suspens. Les yeux
répondent non, mais ils sont
écarquillés, et l’homme énonce
une réponse hésitante : “Qui sait,
qui sait.” La question qui l’amuse
était la suivante : aux législatives
de 2025, Chega pourrait-il rempor-
ter ici sa première circonscription?
João Ricardo Charruadas a 30 ans,
il fait de la politique depuis 2005,
et il est aujourd’hui maire PS de
São Vicente e Ventosa, petite com-
mune de l’Alentejo, non loin de la
frontière espagnole. Ce territoire
de 732 habitants, deuxième com-
mune la plus étendue du pays, est
aussi celui qui a voté le plus pour
le parti de l’extrême droite natio-
naliste, conservatrice et libérale
PORTUGAL
L’extrême droite
s’installe à la campagne
Troisième force politique aux élections législatives
portugaises, le parti Chega capitalise de plus en plus
de voix dans le milieu rural, qu’on disait il y a encore
trois ans immunisé contre le populisme de droite.
en 2019, 381 voix, soit 4,5 % des suf-
frages, s’étaient exprimées pour
Chega dans la circonscription.
Mais cette année, Chega a fait le
plus grand bond, pour finir troi-
sième, avec un total de 1 770 voix
(18,7 %). Une progression fulgu-
rante : le parti d’extrême droite a
multiplié son score par quatre en
deux ans. Et mieux encore, sur les
sept communes du canton, cinq
ont donné la deuxième place à
Chega, avec São Vicente e Ventosa
en tête de cette révolte.
Si les mythes ont la vie dure,
celui du placide Alentejo commu-
niste est bel et bien mort. Dans
les 20 municipalités qui depuis
toujours sont dans le giron du Parti
communiste portugais (PCP), ou
de la coalition de gauche qu’est la
CDU, 17 ont vu cette année Chega
venir assombrir ce rouge horizon.
Gabriel Mithá Ribeiro, nou-
vellement élu parmi les 12 dépu-
tés Chega qui viennent d’entrer
au Parlement, est interviewé à la
télé : on ne voit que lui sur l’écran
de l’épicerie Agro Reis, derrière
Joaquim Serpa, un agriculteur
de 65 ans qui élève à São Vicente
e Ventosa 100 taureaux destinés
à la tauromachie. Mithá Ribeiro
l’idéologue décrit le syndrome
dont ses partisans de Chega souf-
friraient : “Violence symbolique,
terrorisme identitaire, terrorisme
moral, et même pour certains, viol
mental. Voilà ce que subissent les
gens de Chega !”
Joaquin écoute, pas plus inquiet
que ça, sans craindre l’ostracisme :
ici tout le monde sait pour qui il
a voté. “Pour moi, André Ventura
était déjà président de la République !
clame l’éleveur. C’est un homme
franc, il dit les choses comme elles
sont. Avec vérité. Sans peur. Un
homme comme il faut, ferme, mais
qui a du cœur.” Et Joaquim Serpa,
qui a déjà voté Chega trois fois et
entend continuer à le faire, bran-
dit un résultat bien connu par
ici : à la présidentielle 2021, sur
la commune de São Vicente e
Ventosa, André Ventura a rem-
porté 113 voix, devant le président
sortant, Marcelo Rebelo de Sousa,
110 seulement. “On en a assez ici
d’être isolés. Et oubliés! Alors oui, on
proteste !”, s’exclame-t-il. À 14 kilo-
mètres du centre du village, la sil-
houette mélancolique d’André
Churra se découpe sur le vert exu-
bérant du terrain de rugby d’El-
vas, où il a joué durant dix ans. Cet
ingénieur agronome de 30 ans a
cette semaine rendu sa carte du
CDS, le parti de la droite tradi-
tionnelle, qui dans sa commune a
fait un score désastreux – 15 voix,
contre 97 pour Chega. Il porte un
regard lucide sur la situation : “Les
gens d’ici voient bien que leur vie est
dure, et ils le disent. Haut et fort.
C’est une contestation active, l’ex-
plosion d’une frustration. Mais nous
ne devons pas les montrer du doigt
ni accuser Chega. Ce qu’il faut, c’est
comprendre pourquoi on en est là.”
Voilà quinze jours qu’Ana
Maria, 60 ans, et son mari, Jorge
Silva, 65 ans, ont repris le café Bip
Bip, situé sur la grand-rue de ce vil-
lage qui en compte sept, bordées
de maisons basses et blanches,
démocratiques pourrait-on dire.
Sur la terrasse propre et fraîche,
seuls les pépiements des oiseaux
viennent rompre le silence. Le
couple, lui, gronde et ne mâche
pas ses mots : “Ce pays est à la
dérive, et en totale régression. Il est
à genoux, tout part à vau-l’eau, la
santé, la justice, le respect. Il n’y a
qu’André, ce grand patriote, pour
pouvoir le relever. Quand je l’écoute,
j’en ai des frissons.”
—José Miguel Gaspar
Publié le 6 février
São Vicente e Ventosa
Lisbonne
Porto
100 km
ESPAGNE
ESPAGNE
PORTUGALPORTUGAL
A
L
E
N
T
E
J
O
20,
18
16
14
12
10
8,
SOURCE : COMMISSION NATIONALE DES ÉLECTIONS
Résultats de Chega
(élection présidentielle de 2021,
par circonscription,
en % des voix exprimées)
Sur les sept
communes du canton
d’Elvas, cinq ont
donné la deuxième
place à Chega.
La gauche
radicale
en “crise
existentielle”
Si l’extrême droite a le vent
en poupe au Portugal,
les élections de janvier
ont mis fin à l’alliance
entre les socialistes
et la gauche radicale, mise
hors jeu par la victoire du
Premier ministre sortant,
António Costa.
Podemos, en Espagne,
est désormais l’unique
formation de gauche
radicale membre d’un
exécutif européen, alliée
aux socialistes du Premier
ministre Pedro Sánchez.
“Après la crise
pandémique et ses
conséquences socio-
économiques, la gauche
radicale traverse
un moment de crise
existentielle”, note le site
espagnol Público, qui liste
les récents échecs
électoraux de Die Linke
en Allemagne, du Bloco
au Portugal, ou la victoire
des conservateurs en
Grèce aux législatives
de 2019. La chute est
brutale. La crise financière
de 2008 avait servi de
“catalyseur pour les forces
de gauche radicale dans
plusieurs pays européens,
en particulier ceux du Sud,
qui ont le plus souffert
des ravages causés par
les mesures d’austérité”,
développe le média
de gauche. La colère de
la rue et des assemblées
populaires avaient
entraîné la naissance
de Podemos, en Espagne,
ou de Syriza, en Grèce,
des partis “devenus
quelques années plus tard
des forces politiques
décisives”. Aujourd’hui,
“la vague rouge est en
train d’être dépassée par
la vague verte”.
“En France, en Allemagne
et en Autriche, les partis
écologistes occupent
une place privilégiée
au Parlement.”
↙ Sur le fronton : Partis politiques traditionnels.
Sur l’écriteau : À louer. Sur le dirigeable : Populisme.
Dessin d’Arcadio paru dans La Prensa Libre, Costa Rica.
- Courrier international — no 1633 du 17 au 23 février 2022