- À LA UNE Courrier international — no 1633 du 17 au 23 février 2022
des serveurs aux mains d’entreprises. Les cryp-
tomonnaies et la finance décentralisée (DeFi)
devraient donner aux particuliers des alter-
natives aux banques et aux établissements
financiers traditionnels. Les jetons non fon-
gibles (NFT) garantiraient l’authenticité des
droits de propriété des biens virtuels dans les
jeux vidéo et permettraient aux artistes numé-
riques de vendre leurs œuvres en ligne. Devenus
décentralisés, les réseaux sociaux échapperaient
à la modération des contenus par une autorité
descendante, comme YouTube ou Twitter, qui
décident de ce qui est ou non acceptable.
Seulement voilà, même si les blockchains
elles-mêmes sont décentralisées, les services
du Web3 qui interagissent avec elles sont aux
mains d’une poignée d’acteurs privés. De fait,
le secteur qui vient étayer le web décentralisé
est déjà solidement établi et risque de torpil-
ler les promesses du Web3.
La première version du World Wide Web se
présentait sous la forme de sites web statiques
et isolés. Pour désigner cette phase qui couvre
l’essentiel des années 1990, chercheurs et spé-
cialistes d’Internet parlent de Web1. La phase
suivante, au début des années 2000, le Web2,
voit l’avènement de sites interactifs communé-
ment appelés plateformes, comme Facebook,
YouTube et Wikipedia, où les utilisateurs
peuvent publier, éditer et partager des conte-
nus. Ces sites web se caractérisent générale-
ment par une procédure d’identification, la
possibilité de créer des profils et la présence
de contenus embarqués. Surtout, ils voient la
montée en puissance des contenus créés par
les utilisateurs et donnent à ces derniers du
pouvoir et une source de revenus.
Le Web3 suppose que le matériel et les logi-
ciels de l’Internet migrent des bâtiments des
entreprises technologiques vers des réseaux
distribués d’ordinateurs qui ne sont ni déte-
nus ni contrôlés par une entité unique. Un
des premiers à défendre cette idée est Gavin
Wood, cofondateur de la blockchain Ethereum,
qui esquisse sa vision d’un Internet fondé sur
la technologie des cryptomonnaies en 2014.
Gavin Wood écrit, dans un billet de blog,
que le web doit tendre vers “un système d’in-
teraction à ‘confiance zéro’, [où] toutes les inte-
ractions se feront de manière sécurisée, sous
Le Web3 suppose que
le matériel et les logiciels
de l’Internet migrent des géants
de la tech vers des réseaux
autonomes décentralisés.
Nos échanges en ligne, s’ils
passaient par la blockchain,
technologie sécurisée sans contrôle
centralisé, s’émanciperaient
des Gafam... Mais l’infrastructure
du futur est déjà aux mains
d’une poignée d’acteurs.
Les promesses
non tenues
du Web3
—Quartz Ne w Yo rk
L
es cryptomaniaques prêchant l’évangile
du Web3 affirment que tout ce que nous
faisons en ligne passera tôt ou tard par
des blockchains [chaînes de blocs, ces
technologies cryptées qui transmettent
les informations par blocs sans contrôle
centralisé]. Au lieu de grandes sociétés pri-
vées qui régissent la parole et les échanges
marchands sur Internet, les partisans du Web3
annoncent que la prochaine version d’Inter-
net transférera l’essentiel de ces pouvoirs aux
internautes eux-mêmes.
Dans le monde du Web3, nos façons de com-
muniquer, d’échanger de l’argent et de nous
organiser pourraient être décentralisées sur des
ordinateurs en réseau au lieu d’être régies par
↑ Machine
Hallucinations –
Space : Metaverse,
une œuvre de l’artiste
numérique Refik
Anadol, présentée
à Hong Kong en
septembre dernier.
Photo Tyrone Siu Reuters