Courrier International (2022-02-17)

(EriveltonMoraes) #1

  1. TRANSVERSALES Courrier international — no 1633 du 17 au 23 février 2022


—Mail & Guardian
Johannesburg

L


a principale menace pour
la survie des cycas, des
plantes primitives aux
inflorescences en forme de cône,
provient de gens riches prêts à
payer des sommes folles pour en
posséder un exemplaire. Selon
le dernier bulletin de risque de
l’ONG Global Initiative against
Transnational Organized Crime
(GI-TOC, “Initiative mondiale
contre le crime organisé trans-
national”), publié [en décembre]
par l’Observatoire des activités illi-
cites en Afrique orientale et aus-
trale, le trafic de cycas est l’une des
quatre nouvelles tendances du
crime organisé.
“Les cycas sont considérés comme
des symboles de statut social par de
riches collectionneurs sud-africains
et du monde entier. Comme l’a dit
un participant à l’étude sur le com-
merce illégal en Afrique du Sud, c’est
‘un amour fou’, lit-on dans le bul-
letin. Posséder un cycas rare est un
signe de richesse et d’intelligence plus
grand qu’avoir une voiture de luxe.”
Une partie du jardin botanique
de Kirstenbosch, au Cap, est consa-
crée à ces “plantes si archaïques que
les dinosaures se promenaient au
milie u d’elle s”. Selon la GI-TOC,
“les cycas sont très prisés des collec-
tionneurs, et les plus rares peuvent
être vendus plusieurs dizaines de
milliers de dollars. C’est pourquoi le
cycas le plus précieux du Kirstenbosch
a été enfermé dans une cage, pour
que les braconniers ne puissent pas
le déterrer.”
Le bulletin est formel : la menace
est bien réelle. “En août 2014, en l’es-
pace de deux nuits pluvieuses, 24 [spé-
cimens de l’espèce] Encephalartos
latifrons ont été dérobés dans le
jardin. Leur valeur totale était

estimée à 65 000 dollars [envi-
ron 57 000 euros]. Cette espèce est
en danger critique d’extinction : il en
reste moins de 100 exemplaires dans
la nature. Ce vol a attiré l’attention
du monde entier, mais il s’en produit
des dizaines du même type tous les
an s.” En Afrique du Sud, le bracon-
nage de cycas “est devenu tellement
organisé, lucratif et nuisible” que
les autorités en ont fait l’une des
priorités de la lutte contre la cri-
minalité liée aux espèces sauvages,
au même titre que le braconnage
des rhinocéros, des éléphants et
des ormeaux.

Prix élevés. Avec 38 types de
cycas, dont 29 ne se trouvent nulle
part ailleurs, le pays abrite envi-
ron 10 % des espèces existant sur
la planète. Trois de ces espèces
ont déjà disparu à l’état sauvage,
et la moitié de celles qui restent
est menacée d’extinction dans un
avenir proche.
En 2005, des braconniers ont
déterré les 11 derniers survivants
d’une espèce de cycas sur une
montagne où plus de 200 spéci-
mens avaient été recensés moins
de trente ans auparavant. “Les
prix sont élevés à cause du statut des
cycas, considérés par l’Union inter-
nationale pour la conservation de la
nature (UICN) comme le groupe de
plantes le plus menacé du monde”,
signale le bulletin.
Il faut dire que ces végétaux
poussent très lentement et mettent
plusieurs dizaines d’années à
atteindre leur maturité. Beaucoup
de collectionneurs “manquent de
patience” et préfèrent acheter des
spécimens adultes, alimentant
ainsi un commerce illicite. “Ce
trafic existe depuis plusieurs décen-
nies en Afrique du Sud, mais il s’est
intensifié ces dernières années parce
que les cycas deviennent de plus en

ENVIRONNEMENT


Les cycas, objets


d’une passion


destructrice


Braconnage. Très prisés des collectionneurs
et des riches sud-africains, les cycas
sont menacés d’extinction : ces plantes archaïques
font l’objet d’un trafic très lucratif et très nuisible.

plus rares à l’état sauvage, et donc
plus convoités.” Plus de 630 cycas
ont été confisqués par la police
entre 2011 et 2016 dans la province
du Cap-Est : “Toutes les espèces aux-
quelles ils appartenaient figurent
sur la liste rouge de l’UICN, ce qui
démontre une nette préférence du
marché pour les plantes menacées.”
Les cycas sont également pré-
levés illégalement pour la méde-
cine traditionnelle, “mais le marché
médicinal est bien plus petit et moins
dommageable pour les populations
de cycas que le commerce horticole”.
“Depuis les années 1970, l’Afrique
du Sud interdit de récolter, com-
mercialiser ou posséder des cycas
sauvages, mais il existe toujours un
marché légal pour les plantes culti-
vées. Ce marché légal offre une cou-
verture aux trafiquants et permet le
blanchiment des cycas braconnés.”
D’après les estimations récentes
de la GI-TOC, il y aurait des cycas
dans 36 000 foyers dans la seule
ville de Pretoria, soit “bien plus
que ce que les autorités ont la capa-
cité d’inspecter”.
Cette situation est aggravée par
la “généralisation des systèmes de
sécurité” dans les propriétés des
plus fortunés. Beaucoup sont par
ailleurs situées dans des lotis-
sements fermés, ce
qui rend leur accès
encore plus diffi-
cile pour les ins-
pecteurs. “Des
défenseurs de l’en-
vironnement ont
rapporté avoir vu
dans certaines mai-
sons des cycas placés bien
en évidence et qui portaient
des marques incontestables de
leur origine sauvage, comme

des traces de brûlures provoquées
par un incendie ou des morsures de
porcs-épics.”
Toujours selon la GI-TOC, l’une
des principales plateformes du
trafic de cycas se trouve dans le
Cap-Est, qui abrite 14 espèces indi-
gènes : “L’enquête menée par un haut
fonctionnaire de police à la retraite
a montré que près de 1 000 cycas
avaient été déracinés au cours
de 27 opérations de braconnage
entre 2011 et 2018, pour une valeur
estimée à 1,2 million de dollars.”
“Dans le seul village de Jansenville
(5 600 habitants), la police a décou-
vert plus de 350 cycas volés. Et il ne

s’agit là que des opérations de bra-
connage qui ont été signalées à la
police. Plusieurs braconniers ont
été arrêtés à diverses reprises, dont
un exploitant agricole des environs.
Cela porte à penser que le trafic de
cycas est un marché spécialisé, qui
nécessite des connaissances per-
mettant de savoir quelles espèces
ont de la valeur, ainsi qu’un accès
aux acheteurs.”
Le bulletin de la GI-TOC
précise que les restrictions
liées à la pandémie
de Covid-19 n’ont
pas semblé avoir
d’effet majeur sur
le commerce illi-
cite. “Selon les infor-
mateurs, il n’y a pas eu
de changements significatifs
dans les prix des cycas. Deux vols

de plantes dans des résidences pri-
vées ont été signalés dans le Cap-Est
pendant le confinement. Les autori-
tés du Cap-Ouest voisin ont noté un
bref déclin du braconnage, suivi d’une
remontée en flèche, avec, en l’espace
de six mois seulement, en 2021, des
cycas volés pour une valeur totale
d’environ 1 million de dollars.”
Le bulletin mentionne égale-
ment les différents moyens mis en
place pour empêcher le bracon-
nage, notamment l’implantation
de micropuces sur les plantes et le
marquage par micropoints, mais
“les deux méthodes prennent du
temps”. De plus, les braconniers
ont trouvé comment contrer ces
mesures, notamment en passant
les plantes aux rayons X et en
extrayant les micropuces.
“Des chercheurs de l’univer-
sité du Cap ont mis au point une
technique prometteuse pour iden-
tifier les cycas sauvages en utili-
sant la datation au carbone 14
et à d’autres isotopes stables, qui
fonctionnent comme des signa-
tures précises de l’endroit où la
plante a poussé. Chaque plante
a ses propres signatures et il est
impossible de les effacer.”
“Cette méthode serait toutefois
utilisée principalement pour détec-
ter les cycas qui ont été prélevés
dans la nature, et non pour préve-
nir le braconnage. Pour l’instant,
le moyen le plus sûr de protéger les
cycas sauvages est de les
entourer d’une barrière
physique, une option
disponible principale-
ment pour les proprié-
taires privés”, conclut
le bulletin.
—Sheree Bega
Publié le 16 janvier

Le trafic de cycas est
un marché spécialisé,
qui nécessite de
savoir quelles espèces
ont de la valeur.

← Dessin de
Kazanevsky,
Ukraine.
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